Lettre à Borges

De Paul Gonze
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                                                                                  Bruxelles, jour de sa mort

                                                                                  Á Monsieur l’Archiviste Principal

                                                                                  Bibliothèque de Babel, Place des Ruines Circulaires
                                                                                               Tlön Uqbar Orbis Tertius

 


                          Une autre superstition de ces âges est arrivée jusqu'à nous: celle de l'homme du Livre. 

                          Sur quelques étagère de quelque hexagone, il doit exister un livre qui est la clef et le résumé parfait de tous les autres;

                          ll y a aussi un bibliothécaire qui a pris connaissance de ce Livre...

                                                                                                                                                          In "La bibliothèque de Babel"

 

Cher Maître,

 


     Vous connaissez l’influence qu’ont vos écrits sur nos pensées, nos personnes au point que nous nous demandons souvent - et maintenant encore - si ce ne sont pas nos songes que vous avez transcrit, vos idées qu’à peine nous falsifions.

     Vous comprendrez donc le trouble dans lequel notre dernier voyage nous a plongés, vous plongera sans doute. De passage dans une brumeuse métropole de l’hémisphère Nord, nous nous étions perdus dans le labyrinthe des glaces d’une foire. Le quittant, nous visitâmes une autre exposition au titre accrocheur de « TOUT ... n’est que rêves».

      Là, dans un vide apparemment sans limite puisque baignant dans une profonde pénombre, flottaient d’énigmatiques carrousels de 35 panneaux. D’un côté, ils irradiaient d’une blancheur virginale ; De l’autre ils évoquaient, sur fond de nuit d’encre étoilée d’arabesques lumineuses ou trouée de fenêtres à mirages, 35 rêves se déployant en une spirale ouverte: Serpent se mordant insatiablement la queue; Livre éclaté de la genèse et de l’apocalypse d’une planète aussi cohérente et absurde que la nôtre; Anneau brisé tournoyant imperceptiblement, inlassablement, dans l’illusoire poursuite de la première et dernière porte, du trente-sixième rêve.

      Explorant plusieurs de ces nébuleuses, nous crûmes bientôt repérer des panneaux identiques. Mais un examen plus attentif les révéla visions complémentaires et contradictoires d’un même mythe. Et rien ne permettait d’en distinguer la version la moins mensongère: Rêve et réalité se confondaient aussi dans ce dédale.

     Perdus, nous avons du nous endormir car nous vous vous entendions commentant l’hérétique croyance des annulaires: « Notre réalité n’est-elle que le négatif d’un univers idéal ? Nos cités obscures le moule de la ville-lumière ? Nos crimes sur cette terre, semences d’actes saints sous d’autres lunes ? Ainsi le veut l’équilibre du vaste univers ! Qu’importe alors la locale condamnation de nos utopies, l’épisodique avortement de nos désirs : il est des réalités parallèles où leurs innombrables variantes s’épanouissent. »

     Á notre rêveil, nous nous sommes rappelés que vous cherchiez toujours dans votre bibliothèque le livre révélant le vrai nom de l'Autre. Peut-être patientait-il aussi dans l’immense et poussiéreux hangar de plat pays où nous nous étions perdus. Notre quête fut longtemps vaine. Cependant, par une aurore aux doigts de rose, le plus vieux d’entre nous découvrit un panneau intitulé « Un rêve... donc quelques bulles ». En voici la fidèle retranscription : elle ne manquera pas de vous …
 

 

     

                                   puisque tout n'est que rêves