L'odeur de la confiture

De Paul Gonze
Aller à la navigation Aller à la recherche

Le jour que nous reçûmes la visite de l'économiste, nous faisions justement nos confitures de cassis, de groseilles et de framboises.

L'économiste, aussitôt, commença de m'expliquer avec toutes sortes de mots, de chiffres et de formules, que nous avions le plus grand tort de faire nos confitures nous-mêmes, que c'était une coutume du moyen âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et surtout de notre temps, nous avions tout avantage à manger les bonnes conserves qui nous viennent des usines, que la question semblait tranchée, que, bientôt, personne au monde ne commettrait plus jamais pareille faute économique.

- Attendez, monsieur! m'écriai-je. Le marchand me vendra-t-il ce que je tiens pour le meilleur et le principal ?

- Quoi donc? fit l'économiste.

- Mais l'odeur, monsieur, l'odeur! Respirez : la maison toute entière est embaumée. Comme le monde serait triste sans l'odeur des confitures!

L'économiste, à ces mots, ouvrit des yeux d'herbivore. Je commençais de m'enflammer.

- Ici, monsieur, lui dis-je, nous faisons nos confitures uniquement pour leur parfum. Le reste n'a pas d'importance. Quand les confitures sont faites, eh bien! Monsieur, nous les jetons.

J'ai dit cela dans un grand mouvement lyrique et pour éblouir le savant. Ce n'est pas tout à fait vrai. Nous mangeons nos confitures, en souvenir de leur parfum.

GEORGES DUHAMEL, Fables de mon Jardin

 

Et moi j'ai dégusté ce texte alors qu'il était affiché sur la porte du garage de mon amie Sophie de Tillesse qui alchimise des confitures de cerises, rhubarbe, cassis, kwetch, tomates plus vertes que grises... presqu'aussi bien qu'elle vocalise! Ôh l'exquise surprise!

 

D'autres textes où les mots sont parfois aussi parfumés que sa confiture de fraises

et

une recette pour vous mettre autrement l'eau à la bouche