DU DROIT ET DU DEVOIR D'ETRE LIBRE

De Paul Gonze
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Charlie Brown jouant à Mohamed.jpg
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                                                                                                                                                                                                                     Et par le pouvoir d’un mot
                                                                                                                                                                                                                     Je recommence ma vie:
                                                                                                                                                                                                                     Je suis né pour te connaître
                                                                                                                                                                                                                      Pour te nommer
                                                                                                                                                                                                                                Liberté

                                                                                                                                                                                                                                              Paul Eluard

Vous êtes libre de lire ou ne pas lire ce billet d’humeur mais vous n’avez pas le droit d’interdire à Aurore d’en méditer l’esprit, de tenter de le traduire en mots, d’en discuter avec d’autres et, avec (ou sans) leur assentiment, de chercher à le publier pour vous prendre à parti, ici, maintenant.

Vous vous doutez cependant déjà que sa liberté de penser, d’imaginer, de créer est un leurre. Pas plus que vous, Aurore ne contrôle ses rêves et phantasmes ; comme beaucoup d’artistes, elle est surprise par les intuitions, souvent contradictoires, voire inconciliables qui traversent son esprit ; elle se prétend même plus devineresse quand elle s’oublie, lorsque, possédée, elle laisse émerger en sa conscience des métaphores de reliance cosmique, des archétypes l’outrepassant. Et plus encore que ces poètes qui disent ne pouvoir s’empêcher d’écrire, elle ne peut s’arrêter de cogiter. Oubliant un peu facilement que, contrairement à la moitié de la population du globe qui a faim, ne sait pas lire, ne rêve pas au chaud dans un lit douillet, elle a, elle, le privilège de jouer avec les mots. Et que tout privilège implique un devoir…
Sa liberté d’écrire est d’ailleurs tout aussi illusoire, conditionnée qu’elle est autant par son éducation et son milieu que par la logique, la syntaxe de sa langue, ici française avec accent belge. Et elle est la première à s’étonner des parallèles insoupçonnées aux croisements desquelles les collisions de certains mots peuvent la désaxer.
Enfin sa liberté de communiquer est encore restreinte par votre capacité de compréhension, votre lassitude, votre empathie pour la couleur de sa peau, son odeur, son sexe...
Reconnaitre la liberté d’expression d’Aurore implique donc, comme corollaire, d’admettre qu’il est dans sa nature humaine de douter, s’interroger, se reconnaitre ignorante et imparfaite.

La sainte Église condamnant à l’enfer ceux qui jouissent d’inavouables libidos luxurieuses, devrait-elle être guillotinée parce que, certains soirs de déprime, elle a envisagé de se débarrasser de son bien-aimé ou de ses enfants ? Ou tôlerez-vous qu’elle tente d’apprivoiser, de raisonner ses pulsions plutôt que de les refouler au point de basculer dans la folie, l’autisme, la barbarie?
Exigeriez-vous, à l’instar de ces démagogues, avatars de Big Brother, de formater son mental, téléguider ses caprices, la lobotomiser et, clouant sous cadre notre égalitaire fraternité, progressivement vous robotiser avec elle.
En vertu de quels impératifs sécuritaires voudriez-vous la contraindre à marcher au pas, entre des moutons de Panurge ? Comment l’empêcheriez-vous de se différentier, en pensées autant qu’en paroles politiquement incorrectes… questionnant l’enfermement des palestiniens et le génocide des tziganes, honorant des résistants comme héros exécutés par des nazis comme terroristes, s’affichant Aurore lesbienne athée de surcroît ou Charlie intellectuel bourgeois de gauche ou Coulibaly émeutier de cité modèle *** , ironisant sur la trop confortable dichotomie des humanoïdes en "nous-les-gentils" et "eux-les-méchants"… voire même en blasphémant la religion capitaliste et ses libéralisateurs?
Puisqu’Aurore accorde à ceux-ci le plein droit de la critiquer, d’argumenter – avec tempérance et philosophie - sur ses errements, de risquer de la ramener dans leur droit chemin. Pour autant que ces derniers ne la réduisent pas au silence sur base de leur pensée unique et dans leur prison de trop-bien-pensants... Qu’ils ne se montrent pas bêtes et méchants.

Sa revendication est donc qu’en parallèle avec celles de tous ses frères humains, soient reconnues son irremplaçable individualité, son unique manière de vivre, sa difficile volonté de s’épanouir, sa laborieuse manière de s’exprimer. Et son devoir libertaire, le devoir de tout citoyen est d’exiger avoir droit à une totale liberté d'expression. Liberté d’expression qui ne soit pas le monopole d’une presse achetée mais dont nous sommes tous, personnellement, les porte-paroles. Affirmant qu’elle s'exerce pleinement dans le passage à la limite, jusque dans la transgression… dans le rejet des périphrases anodines et des compromis consensuels.
Car, pour tout(e) démocrate, la liberté d’expression n’est pas un passe-temps dont on jouit dans l’intimité, à genoux, en prière mais un droit qui s’affirme, se clame debout dans tous les musées, toutes les bibliothèques, tous les cinémas, toutes les écoles et partout dans l’espace public, en mini-jupes ou en pantalon, avec ou sans voiles…
Convaincus que l’indispensable ferment de l’évolution d’une civilisation est le questionnement de ses préjugés, la mise en évidence de ses failles, la dénonciation de sa corruption…; Que sans contestation vivifiante, sans alternatives culturelles, sans dynamique créative, notre savoir-vivre ensemble se sclérosera puis s’éteindra.

Pour éviter cette apocalypse, chaque terrien(ne), excluant toute autocensure comme toute méchanceté gratuite ou mensongère bêtise, est appelé(e) à passer à l’acte pour autant qu’il ou elle le fasse dans le respect de la vie, de la liberté et de l’autonomie de ses alter-ego, garants de sa propre humanisation.

Mais…
Mais qui sont ces alter-ego ? Dans le cadre d’une relation amoureuse ou familiale, la réponse perle du cœur. Mais, au niveau politique, appartiennent-ils à cette ploutocratie dictatoriale qui ne lui marchande d’autre idéal que de se barre-coder en surconsommateur passif d’une audiomasse suicidaire… ou à une génération de jeunes et chaleureux utopistes à qui Aurore voudrait léguer une planète moins grise, plus bleue… et donc à vous aussi, ses complices !

La discussion est ouverte…


                                                                                                   Texte d’Aurore d’Utopie
                                                                                                                               traduit de l’onirien en français par Paul Gonze


      • * La formule est choquante ! Serait-elle plus acceptable comme calcul machiavélique : « pour vaincre son adversaire il faut se mettre dans sa peau, sa tête »… voire même en l’aimant à la façon non violente de Gandhi qui rappelait qu’ « on ne peut vaincre son adversaire que par l’amour et non par la haine ».