ART MODERNE OU ART DE VIVRE

De Paul Gonze
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   Texte provisoire... en gestation

                                             

                                                            POUR UNE VILLE-MUSÉE RÉCRÉATRICE
                                                    CONTRE UN MUSÉE D’ART MODERNE MORTIFÈRE


                                                                           

                                                                                                                    L'église est menacée, alors, tout doucement, on prépare
                                                                                                                    le musée pour assurer la relève de ces fumeries d'opium.

                                                                                                                                                                                        Romain Gary

                                                                                                                                Comment être ou ne pas être, quand on a perdu
                                                                                                                                                                      la foi, de mauvaise foi ?

                                                                                                                                                                       Krépuscula Kochmarsky

Vie et mort d’une idole, d’une vierge et d’une courtisane
Un masque primitif n’est pas une curiosité à regarder distraitement entre deux de ses variantes, sous une douche d’halogènes, plus inoffensif dans sa cage qu’une bête de cirque mitée. Un fétiche est un esprit, un génie capable d’attirer la foudre, exalter la présence des dieux parmi les hommes, induire chez ces singes la puissance démiurge. Se manifestant dans des circonstances extra---ordinaires, à l’appel des tambours, il danse, plane, vole avec le sorcier dans la palpitation des torches. Apparition divine, frappant les imaginations d’autant mieux qu’elle est fugace, incontrôlable, indéfinie… infinie. Qui ose regarder l’idole sans être initié, risque la cécité, de ne jamais voir s’ouvrir son troisième œil.
Il en a été de même pour quelques vierges de douleur irradiées par la lueur tremblante de bougies votives dans le pénombre d’une chapelle et au pied desquels, à genoux, on osait à peine lever les paupières, … sauf, une fois l’an, quand les foules se pâmaient devant l’icône sacrée, promenée dans l’éblouissement rituel d’une procession solaire. Puis arc-en-ciellisée de nostalgie par les paroissiennes.
De même avec la Venus d’Urbino sensuellement caressée par le pinceau du Titien pour inciter la belle de son commanditaire à se masturber puis jouir plus intensément dans l’intimité d’une alcôve afin de procréer de divins enfants…


De la beauté des cadavres
Jusqu’au jour où ces idoles encroutées de sang, ces mères de dieu, ces courtisanes dénudées ont été trucidées. D’abord quand, déracinées pour être vendues comme œuvres d’art, elles ont perdu leur âme, magie, charmes. Ensuite quand, œuvres patentés, elles ont été pendues à un clou, mises en boîte ou pétrifiées sur socle dans un de ces musées qui, comme l’a dit André Malraux, les ont transformés en objets. Enfin quand elles ont été fichées dans un catalogue avec d’autres objets comme autant de cadavres au fond d’une fosse commune. Triple assassinat qui n’est jamais perpétré en aussi totale impunité que par les musées des Beaux-Arts.
Avec, inutile de me cacher, mon hypocrite complicité d’occidental! Car, comme toute chenille, je rêve de papillonner dans les cimetières, méditer sur les couleurs de la lumière dans les catacombes, réfléchir aux fins dernières de ma jolie devant une momie. Et je peux comprendre que d’autres, plus que moi, soient accros à ces nourritures célestes. Prêt même, avec eux, à signer toutes les pétitions demandant que les musées soient reconnus "serial killers" d’utilité publique et que des subsides leur soient alloués pour postposer l’inéluctable pulvérisation de leurs victimes. J’accepte même la construction de hangars au fond desquelles entreposer des collections d’amphores grecques, théières anglaises, gravures japonaises pour les spécialistes en amphores grecques, théières anglaises, gravures japonaises. Gardant cependant à l’esprit que ces vénérables institutions ne sont que des pis-aller, de tristes nécessités pour préserver, dans un monde de vandales, des reliques défraichies, trésors menacés, vestiges fêlés d’arts de vivre disparus... mais susceptibles d’encore féconder l'art de vivre aujourd’hui.
Perturbé par l’évidence que des civilisations aient pu fleurir et se faner sans disposer du concept ni même du mot "Art" ; Que des sociétés, averties de l’essence éphémère du plaisir, aient voluptueusement enterré, brulé ou noyé des "sources de beauté éternelle" ; Que la majorité de l’humanité survivra, créera et jouira demain encore sans jamais aller au musée.
Torturé par les pulsions contradictoires de me satisfaire de rien et de vouloir tout voir, tout posséder. Me demandant, après Saint-Exupéry, si ce qui fait la beauté du désert, c’est qu’il cache un puits; après Gracian Y Morales, si le secret excite la vénération ; ou encore, après Voltaire, si le secret d’ennuyer est de tout dire : si c’est folie de muséologue de vouloir tout donner à voir.
Par exemple "L’origine du Monde" qu’un trio de pervers avait dissimulé derrière un paravent pour la dérober aux regards des quidams, exceptionnalisant ainsi son exhibition… Alors que quiconque dorénavant, muni d’un ticket poinçonné, peut rester scotché pendant plus de 10 minutes devant la divine bouche, sans se préoccuper du gardien qui baille… ou sait qu’il pourra le faire quand il ira à Paris, pénétré, comme le remarquait Madeleine Vaillancourt, de la certitude qu’elle est incarcérée au musée d’Orsay pour l’éternité. Ne fantasmant plus dès lors sur son inexistence ou son immanence, ni ne l’imaginant rousse, ou enceinte, ou plus créole que la très chère de Baudelaire. Pauvre chatte qui a gagné en froide objectivité ce qu’elle a perdu en chaleureux mystère.
Soucieux d’être en accord avec moi-même, dois-je ici passer sous silence un autre de mes reproches à tout musée: être plus organe de rétention que de monstration, n’exposant qu’une partie de ses avoirs, la pointe d’un iceberg dont la masse invisible se congèle dans les caves ? Comme ferait tout spéculateur en blé cherchant à faire bouillir les enchères… au profit des plus gras.

Et si l’art était ailleurs ?
Et pourtant, je le répète à ma grande confusion, l’anartiste que je suis aime se promener dans les musées. Serait-il un nécrophile dégénéré ? Se répétant qu’il n’y a pas d’amour heureux !
Ne devrait-il pas reconnaitre que l'Art aussi est en crise et qu’il a toujours supporté autant de définitions que de protagonistes ? Voire même se demander si la chose existe, s’il est plus qu’un mot, qu’un concept voilant ou dénudant la pulsion qu’a l’humain de créer du sens, questionner la finalité de son existence, se transcender ? Pulsion qui se manifeste avec plus ou moins de force et de grâce à travers les siècles et les continents, hiérarchisant ou reliant les hommes entre eux, les excluant ou les appariant avec leur environnement, les enfermant comme gardiens de leur passé ou les ouvrant à un avenir qui les outrepasse.
Hallucinés par cette quête, quelques illuminés ont, jadis, sublimé des bouts de bois en objets de terreur et de vénération, métamorphosé un lieu banal en mi-lieu du monde, ritualisé de l’éphémère en boucles de temps… donnant vie et insufflant âme à des mottes d’argile et des blocs de pierre. Inspirés ou délirant comme la Pythie, ils auréolent encore la réalité d’une pluralité de sens poétiques, révèlent l’envers des apparences, ouvrent des abymes où perdre pied pour décoller de la réalité. Apprentis-sorcier, ils comprennent à peine ce qu’ils croient dire, donnent plus que ce qu’ils possèdent, sont possédés par des démons, se prennent pour des anges et se tuent pour le plaisir d’autrui, d’inconnus…
… pour agoniser de savoir leurs œuvres crucifiées au musée ?

De l’assassinat comme un des Beaux-Arts Modernes
N’étant pas encore mort, c’est donc avec plaisir que je me découvre, face aux MAM (Musées d'Art Moderne), scorpion. Car ceux-ci sont moins des serials-killers que des faiseuses d'ange pratiquant l'avortement plutôt que l'assassinat comme un des Beaux-Arts. Réduisant non seulement les œuvres en objets mais n'objectifiant que des fausse-couches, ne formolisant en leurs bocaux que des fœtus morts-nés. Apôtres d’une muséographie contemporaine qui, selon le philosophe Pierre-Henri Jeudy, nous habitue curieusement à une "culture patrimoniale" : la plupart des œuvres normées "artistiques" ayant pour fabuleux destin de transiter directement de la tour d’ivoire de leurs conceptualisateurs à des coffres de collectionneurs puis des cellules de musées sans jamais se tacher de quotidien, polluer de sang rouge, saouler de liberté. Ah l’immortel destin que de mourir avant que de n'avoir vécu!
Mais quelles perspectives d'avenir une civilisation qui embaume son présent peut-elle offrir à sa jeunesse ? Quel droit à la contestation, quelle échappatoire vers des ailleurs lui concède-t-elle ? Les politiques ont la réponse qui financent les MAM afin d'assurer la pérennité du système qui les supporte: pour neutraliser un graffiti contestataire, rien de plus louable que de le récupérer en l’exposant comme une anomalie dans un cube aussi blanc que psychiatrique. Et pour apprivoiser un anarchiste, rien de plus honorable que d’en faire un artiste subventionné ! En lui promettant, pour sa pension, une rétrospective au MAM!
Et que l'on n'aille pas prétendre que le rôle mortifère des MAM se confine à quelques hospices où le temps suspendrait son vol. Leur lèpre est contagieuse et pourrit surtout les vivants. Si, reprenant le constat de Malraux, les vieux musées transforment les œuvres en objets, leurs descendants ont le truc pour gazéifier n’importe quel objet en artefact : de l’urinoir à la merde d’artiste en passant par le tas de charbon ou de bonbons, le socle pour sculpture sans sculpture, le cadre vide sans titre, le vide signé… au point que les ménagères des ces lieux prestigieux peinent à ne pas les confondre avec des déchetteries.
Premier symptôme de l’infection: n’importe quoi étant auréolé œuvre d’art, l’acte de consommer n’importe quoi se transcende en rituel d’essence artistique… Les grands magasins n’étaient-ils pas déjà, pour Andy Warhol, un peu comme des musées ? Et pour son complice Joseph Beuys, tout le monde - n’importe quel consommateur – n’est-il pas artiste ?
Deuxième symptôme : la sacralisation des institutions culturelles, la médiatisation événementielle de leurs grands-messes infusent, au sein de la population, l’acceptation passive de la marchandisation-standardisation-vulgarisation de son cadre de vie. Sa monotone laideur est digérable puisque quelque part, comme au-delà d'une vallée de larmes, un paradis de beauté gratuite leur est promis. Pourquoi pleurer ce qui bascule dans l’obsolescence puis dans la décharge de l’histoire quand des reliques sont pieusement conservées par des conservateurs dans ces conservatoires?
Troisième symptôme : le lien reconnu par Romain Gary entre les mondes ecclésiastique et artistique est quasi génétique. Succédant aux évêques, prêtres et sacristains qui intercédaient pour le bon peuple auprès du Très Haut, des archéologues du présent, critiques des contestations consensuelles et guides d’avant-garde académique font de la médiation, expliquant au public comment être touché par les "manifestations" des artistes contemporains et pourquoi honorer ces derniers à la hauteur des saints d’antan. Décrits par la sociologue Nathalie Heinich comme "L’élite artiste", ces hérauts de la société du spectacle produisent de l’art pour l’art, battent des ailes au-dessus d’une trop triviale réalité et dorent les pilules opiomisant le bon peuple en troupeau de consommateurs. Autorisés, en vertu du sacro-saint principe de la liberté d’expression, à ne respecter aucune règle, aucun tabou, aucune loi, ces stars du system tirent leur titre de gloire de miraculeux scandales et de divines provocations. Motif justifiant leur canonisation financière à l’ombre du veau d'or. Et résignation pour le vulgus pecus à n’être que de fidèles pénitents processionnant dans les MAM pour encenser la société de consommation-spectacle-loisirs pétrolant dans la logique de l’obsolescence néo-libérale.

Un enterrement à répétition
Le vernissage, en 1984, du MAM de Bruxelles a révélé l’ampleur de l’épidémie. Ce qui a poussé un ouvrier en salopette bleue, pendant que le roi des belges, une foule de ses ministres et l’écume de la nation champagnaient, a descendre dans la fosse et apposer sur son mur des lamentations une pierre tombale dont l’épitaphe "Ci-gît l’art moderne belge" était profanée par le graffiti "Vive l’Art de Vivre".
Le brave avait tort puisqu’il avait raison trop tôt : il fallut attendre près de 30 ans, jusqu'en février 2011, avant qu’un conservateur en mal de bonus culturels n’officialise l’acte de décès. Éplorés, quelques dizaines d’artistes, galeristes et professeurs d’art, une centaine à tout casser - l’avant-garde d’un bataillon? – se retrouvèrent chaque premier mercredi du mois pour prier en faveur de sa résurrection (en présence, il est vrai, de quelques impies). L’émoi à répétition de ces indignés - beaucoup défendaient leur carré blanc sur fond blanc - suscita quelques échos dans la presse, poussant un quarteron de chevaliers des finances et capitaines d’entreprises à promettre de sponsoriser, pour après 2026, la réincarnation du défunt dans un Guggenheim bruxellois. Généreusement conscients qu’un musée est aux œuvres d’art des collectionneurs ce que la bourse est aux placements des spéculateurs.
Le mal ne s’arrêta pas là : à la treizième réunion mortuaire, après la remise d'une pétition signée par 3.000 personnes , le Ministre de la Politique Scientifique découvrit quelques milliers de mètres cube de vide au sein des MRBAB : sépulture vite jugée insuffisante au vu de la renommée du défunt au point de pousser le ministre à promettre de lui élever un mausolée d’ici 10 à 15 ans. Nouvelle que l’agence Belga confirma le Mardi Gras, journée traditionnelle pour se cacher derrière un masque de carton doré et couvrir sa belle de confettis comme de perles, oubliant que, le lendemain, il faudra jeuner pendant 40 jours, des cendres au front.
Et amuser un vilain petit canard qui se demande pourquoi une ville qui compte déjà plus de cent musées (rebaptisés palais, brasseries, ateliers… situés dans Bruxelles ou à moins d’une heure en train, spécifiquement dédiés aux arts moderne et contemporain) était en manque d'un cent et énième.
Pour plaire à l’infime minorité de rentiers, pensionnés, touristes et "marchands du temple" (qui y étaient venus surtout - seulement ? - pour manifester) ou snober les 99 % de la population bruxelloise qui ignore qu'il y avait hier et se fout qu’il y ait demain un MAM?
Parce que le club des lécheurs de culs friqués est en manque d’un boudoir? Parce que les innombrables avatars de Picasso, qui se vantait de pouvoir, à lui seul, remplir un BAM, sont en manque? Parce que les étudiants sédentaires des écoles des Beaux-Arts ne disposent que d'hectomètres de catalogues pour ne pas apprendre, à la mode d'Ingres, les mêmes recettes que leurs pères?
Oubliant que si, malgré la crise, un budget extraordinaire tombait du ciel pour qu’un MAM s’élève au ciel de la métropole européenne, son budget de fonctionnement serait, comme celui des MRBAB, minable, et d’acquisition quasi nul ? Que pour asseoir un minimum sa crédibilité, il devra, comme les MAC’s, SMAK et consorts, courtiser les vedettes internationales et délaisser les "belgische ambachtelijke kunstenaars" ? Qu’il n’apparaitra jamais que comme un minus-habens par rapport aux VanHaerentsArtCollection, Maison Particulière et autre Fondation Pinault ? Mais qu’il cautionnera les dérives néo-libérales de l’art contemporain, alibi dont une élite abuse pour amplifier sa phosphorescence culturelle, faire-valoir des étoiles de la société du spectacle qui poussent monsieur et madame tout le monde à se résigner à être quelconque, fonds de garantie tempérant les faillites spéculatives sur le dos de la masse des contribuables !

Bruxsel, première Ville-Musée de l’Univers ?
Alors qu’on devrait espérer des instances publiques, dans une dialectique démocratique, socialis(an)te, qu’elles promotionnent l’alternative d’un art public dont toute la population jouirait 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, vecteur de reliance et catalyseur de convivialité, terreau d’une créativité valorisant l’unicité d’un lieu et stimulant un art de vivre proprement - et salement - bruxellois.
Alors, alors, alors... Alors que Bruxsel pourrait se sublimer en Vil-Mus-D'A-Mo-Ré, en ville-musée d'art moderne régénéré ! Avec tous ses habitants, résidant ou touristes, légaux et illégaux reconnus artistes bruxsellois modernes! Avec tout ce qui fait Bruxsel, du pavé de la Grand-Place à la tour de l’hôtel de ville en passant par le manneken-pis-tire-bouchon du Marché aux Puces et le nuage lourd de pluie au dessus de l’Atomium... certifié œuvre d’art bruxselloise moderne!! Avec tous les événements se produisant à Bruxsel, déclaration politique ou confidence amoureuse, promenade avec le chien ou défilé militaire, visite de musée ou sieste au soleil… critiquable comme performance artistique bruxselloise moderne!!!
Alors qu'il faut vouloir l'utopie, échafauder l'inimaginable, lancer des ponts par-delà l'horizon... et, appliquant le conseil de Nietzsche, "contre l'art des œuvres d'art, apprendre un art supérieur: l'art de l'invention des fêtes"... L'ART DE VIVRE!




                                                                  Alors qu'attendez-vous pour agir,

                                                             devenir artiste moderne bruxsellois(e),

                                                                oeuvre d'art moderne bruxselloise,

                                                  amateur ou détracteur éclairé d'art moderne bruxsellois

                                                            et parrain ou marraine du Vil-Mus-D'A-Mo-Ré