ART MODERNE OU ART DE VIVRE

De Paul Gonze
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                                                         Méditations sur le futur Musée d'Art Moderne

                                                                               et son alternative

                                                                               LA Vil-Mus-D'A-MoRé

                                                                                                                    L'église est menacée, alors, tout doucement, on prépare
                                                                                                                    le musée pour assurer la relève de ces fumeries d'opium.

                                                                                                                                                                                        Romain Gary

                                                                                                                                Comment être ou ne pas être, quand on a perdu
                                                                                                                                                                      la foi, de mauvaise foi ?

                                                                                                                                                                       Krépuscula Kochmarsky

Non, le musée d'art moderne n'est pas mort et enterré! Seuls les vivants meurent, ne laissant qu'un corps à enterrer qui s'en retournera à la poussière. Les objets par contre, tout comme leurs emballages, ne vivent ni ne meurent: amalgames de poussières que l'on peut temporairement stockés dans des greniers, des caves voire des musées (et des musées de musées?), ils prennent la poussière et sont dépoussiérés jusqu'au soir où ils tombent pour l'éternité en poussière. 

Même les fétiches encroutés de sang, les christ de douleur, les courtisanes dénudées? Elles et eux avaient pourtant fait vivre, palpiter, jouir... Jusqu'au moment où elles furent reconnues œuvres d'art et figées au musée qui a évaporé leur âme, leur magie, leurs charmes. Puisque, comme l'écrit André Malraux, tout musée transforme toute œuvre en objet. Et que les objets, ne vivant ni ne mourant, sont promesses de poussière au sein d'un Musée ramasse-poussière.

Donc oui, les musées sont mortifères et on peut, comme Lamartine, être las des musées, cimetières des arts.

Minute papillon! Comme toute chenille, je ne vais pas nier que j’adore papillonner dans les cimetières, méditer dans les nécropoles, réfléchir aux fins dernières de ma douce et tendre devant une momie enrubannée. Et je peux comprendre que d’autres, plus que moi, soient accros à ces émotions. Prêt même, avec eux, à signer toutes les pétitions exigeant le classement de ces vénérables institutions au patrimoine mondial de l’humanité et des subsides conséquents pour retarder l'instant de leur inéluctable pulvérisation. Sans oublier néanmoins qu'ils demeurent de tristes pis-aller... et que la vie, l'art de vivre vibre ailleurs.

Et qu'en ce qui concerne les MAM (Musées d'Art Moderne), c'est si pire qu'on se voudrait plutôt scorpion: ces serials-killers ou plutôt ces faiseuses d'ange ne considèrent-ils pas l'assassinat ou plutôt l'avortement comme un des Beaux-Arts? En ce sens que non seulement ils transforment les œuvres en objets mais qu'ils n'objectifient que des fausse-couches, ne formolisent en leur bocaux que des foetus morts-nés. Pour le philosophe Pierre-Henri Jeudy, la muséographie contemporaine nous a curieusement habitué à une "culture patrimoniale", la plupart des oeuvres dite artistiques ayant pour fabuleux destin de transiter directement de la tour d’ivoire de leurs conceptualisateurs à des coffres de collectionneurs puis des cellules de musées sans jamais se tacher de quotidien, polluer de sang rouge, saouler de liberté. Ah le glorieux destin que de mourir avant que de n'avoir vécu!

Mais quelles perspectives d'avenir une civilisation qui embaume son présent peut-elle offrir à sa jeunesse ? Quel droit à la contestation, quelle échappatoire vers des ailleurs lui concède-t-elle ? Les politiques ont la réponse qui financent les musées afin d'assurer la pérennité du système qu'ils dirigent: Pour neutraliser une œuvre contestataire, rien de plus rentable que de la récupérer en l’exposant comme un objet d'exception, une anormalité, dans une cellule aussi blanche que celles d’un institut psychiatrique. Et pour apprivoiser un révolutionnaire anarchiste, rien de plus honorable que d’en faire un artiste subventionné ! En lui promettant, pour sa pension, une rétrospective au MAM!

Et que l'on n'aille pas prétendre que le rôle mortifère des MAM se confine à quelques seigneureries se targuant d'arrêter le temps. Leur lèpre est contagieuse et pourrit aussi les vivants. Si, reprenant la formule de Malraux, les vieux musées transforment les œuvres en objets, il faut reconnaitre que leurs jeunes épigones ont le pouvoir de béatifier n’importe quel objet en artefact : de l’urinoir à la merde d’artiste en passant par le tas de charbon ou de bonbons, le socle pour sculpture sans sculpture, le cadre vide sans titre, le vide signé… au point que les ménagères des ces lieux prestigieux, peinant à ne pas les confondre avec les ordures, se demandent "Pourquoi il faudrait construire des MAM alors qu'il y a des déchetteries?"

Avec pour corollaire que, n’importe quoi pouvant être auréolé œuvre d’art, l’acte d'acheter, consommer puis jeter n’importe quoi se trouve transcendé en opération cultuelle, d’essence artistique… Andy Warhol en personne avait constaté que les grands magasins sont un peu comme des musées. Et Beuys de surenchérir en affirmant que tout le monde - n’importe quel consommateur - est artiste. Alors les MAM comme basiliques de la société de consommation?

De fait, la sacralisation de ces institutions culturelles et leur médiatisation événementielle comme lieu de culte induit, au sein de la population, l’acceptation passive de la marchandisation-standardisation-détérioration de son cadre de vie. La monotonie et la laideur qui en résulte est digérable puisque la ville fonctionnelle et rentable héberge quelque part, comme au-delà d'une vallée de larmes, un paradis de beauté et de gratuité. Pourquoi pleurer ce qui bascule dans l’obsolescence puis dans la décharge de l’histoire quand des reliques, quintessence de ce qui s’efface, est mis en conserve par des conservateurs dans ces conservatoires?

La filiation reconnue par Romain Gary entre les mondes écclésiastique et artistique s'avère plus profonde quand, succédant aux évêques, prêtres et sacristains qui intercédaient pour le bon peuple auprès du Très Haut, on voit des archéologues du présent, critiques d’art et guides assermentés faire de la médiation, expliquer au public comment regarder les "manifestations" des artistes contemporains et pourquoi les honorer mieux que des saints. Hors d’eux, point de salut ?

Pour la sociologue Nathalie Heinich, les artistes contemporains sont les aristocrates de la société du spectacle. Produisant de l’art pour l’art… et pour ces lieux non rentables que sont les MAM, ils dorent la pilule qui opiomise le bon peuple en troupeau de consommateurs. Autorisés, en vertu du sacro-saint principe de la liberté d’expression, à ne respecter aucune règle, aucun tabou, aucune loi, ces étoiles du star system, tirant leur titre de gloire de la médiatisation de miraculeux scandales et de divines provocations, sont canonisées de leur vivant: canonisation financière s'entend dans le rayonnement du veau d'or.

Ces dérives ont été exemplairement mises en lumière lors du vernissage, en 1984, du MAM de Bruxelles. Ce qui a poussé un ouvrier en salopette bleue, pendant que le roi des belges, une foule de ses ministres et l’écume de la nation champagnaient, a descendre dans la fosse et apposer sur son mur des lamentations une pierre tombale dont l’épitaphe "Ci-gît l’art moderne belge" était profanée par le graffiti "Vive l’Art de Vivre".

Il s'avère aujourd'hui que le brave se faisait des illusions: il fallut en effet attendre près de 30 ans, jusqu'en février 2011, pour qu’un conservateur en mal de bonus culturels n’officialise l’acte de décès. Éplorés par cette annonce mortuaire, quelques dizaines d’artistes, critiques, galeristes et professeurs d’art, une centaine à tout casser - l’avant-garde d’un bataillon? – se retrouvèrent chaque premier mercredi du mois pour prier en faveur de sa résurrection (en présence, il est vrai, de quelques impies). L’émoi de ces indignés, dont beaucoup défendaient leur pré carré - blanc sur fond blanc - suscita, du fait de sa récurrence, quelques échos dans la presse, poussant un quarteron de chevaliers des finances et capitaines d’entreprises à promettre de sponsoriser, pour après 2026, la réincarnation du défunt dans un Guggenheim bruxellois. Généreusement conscients qu’un musée est aux œuvres d’art des collectionneurs ce que la bourse est aux placements des spéculateurs.

On s'étonnera donc qu'il ait fallu treize manifestations mensuelles et la remise d'une pétition signée par 3.000 personnes (contre 23.300 pour le statut des artistes, toutes disciplines confondues) pour que les récriminations de ces aficionados de l'art moderne soient enfin entendues. Le Ministre de la Politique Scientifique découvrit alors quelques milliers de mètres carrés de vide au sein des MRBAB. Lieu de repos apparemment plus idéal pour une partie de la collection d'art moderne que les caves du dit Musée. Mais paix provisoire puisque, dans la foulée, le ministre s'engagea à ce qu'un nouveau MAM soit construit dans la métropole de l'Europe d'ici 10 à 15 ans.

Un vilain petit canard se demande cependant pourquoi une ville qui compte déjà plus de cent musées (dont plusieurs palais, brasseries, ateliers, forges, galeries situés à Bruxelles ou dans un rayon de moins de 100 km, spécifiquement dédiés à la promotion de l'art contemporain) est en manque d'un cent et enième MAM ?

Alors qu'un art vivant, un art d'aujourd'hui ne peut s'épanouir qu'en s'enracinant dans le vécu de la communauté qui le secrète. Alors que les musées ne sont fréquentés que par une infime minorité de rentiers, oisifs ou touristes. Alors que, comme le rappelle le loeuvretiste, 99 % de la population bruxelloise ignore qu'il y avait hier et qu'il pourrait y avoir demain un MAM? Alors que les artistes se muent en plasticiens, taggeurs, bédéistes, infografeurs, installationistes, culinaristes, je m'enfoutistes... au service des friqués. Alors que les étudiants des Académies des Beaux-Arts disposent d'hectomètres de catalogues et de monographies pour apprendre à faire, à la mode d'Ingres, les mêmes fredaines que leurs pères? Alors que, phénomène de rétention plus que de monstration, ce qu'on pourra voir sera comme la pointe d'un iceberg congelé dans les caves... Alors que l'art est comme le furet du Bois Joli qui court qui court... et ne se laissera jamais enfermer dans une cage, même de verre.

Alors, alors, alors... Alors que Bruxsel pourrait se sublimer en Vil-Mus-D'A-Mo-Ré, en ville-musée d'art moderne révolutionnaire et réactionnaire et réssuscitée et réincarnée mais toujours réjouissante ! Avec tous ses habitants, résidant ou touristes, légaux et illégaux reconnus artistes bruxellois modernes! Avec tout ce qui fait Bruxsel, du pavé de la Grand-Place à la tour de l’hôtel de ville en passant par le tram 22, le brol du Marché aux Puces, le café au coin de la rue et le soleil qui se couche à l’horizon...certifié œuvre d’art bruxelloise moderne!! Avec tous les événements se produisant à Bruxsel, déclaration politique ou confidence amoureuse, promenade avec le chien ou défilé militaire, visite de musée ou sieste au soleil… critiquable comme performance artistique bruxelloise moderne!!!

Alors qu'il faut rêver l'utopie, construire l'inimaginable, décercler l'horizon...  et, appliquant le conseil de Friedrich Wilhelm Nietzsche, "contre l'art des œuvres d'art, apprendre un art supérieur: l'art de l'invention des fêtes"... L'ART DE VIVRE!


                                                                  Alors qu'attendez-vous pour agir,

                                                             devenir artiste moderne bruxsellois(e),

                                                                oeuvre d'art moderne bruxselloise,

                                                  amateur ou détracteur éclairé d'art moderne bruxsellois

                                                            et parrain ou marraine du Vil-Mus-D'A-Mo-Ré