Les Appâts d'Agathe

De Paul Gonze
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mignardises qui ont, si elles ne sont pas de très bon goût, très bon goût.

                                                                                                                                        

Sainte Agathe par Ramon Oscariz.jpg
Sainte Agathe par Ramon Oscariz.jpg

    … et son ventre et ses seins, ses grappes de ma vigne…

                                                                                                                                                                                   Charles Baudelaire – Les Bijoux

Les ingrédients : 

Pour deux belles agapes à partager entre trois couples d’amis, il vous faudra :

- deux moules symétriques, gauche-droite,

- un demi-litre de lait d’amandes (ou d’amantes) et surtout pas de vache ou de chèvre,

- quinze centilitres de crème de coco bien grasse,

- dix grammes d’agar-agar, algue vendue en épicerie biologique et utilisée notamment dans la préparation du royal tremblant (royal jelly pour les anglophones) et du plum-pudding,

- deux fois trente-six grammes de sucre de canne blond, deux cuillères à soupe de poudre d’amandes (ou d’amantes), deux doigts de cannelle, deux pointes de noix de muscade, deux pincées de gros sel et, pourquoi pas, un zeste de gingembre aphrodisiaque,

- du sirop de jus de grenade (reconnu pour ses propriétés anti-cancer du sein),

- deux moitiés de grosse pêche blanche pelées et deux petites fraises des bois.

L’accompagnement : 

Pour le plaisir des yeux autant que des lèvres, préparez aussi un bon verre de coulis de framboises, fraises et groseilles que vous adoucirez au sucre vanillé, un verre de Lacrima Christi et un large plat elliptique d’argent ou de vermeil.

La préparation : 

Mélangez la moitié de votre lait d’amandes (ou d’amantes) en casserole avec l’agar-agar puis portez à ébullition en remuant pendant deux minutes. Gardez au chaud.

Dans un autre bol, tiédissez le restant du lait avec la crème de coco et le sucre de canne puis mélangez au lait agar-agarisé. Ajoutez vos épices et la seconde moitié de poudre d’amandes (ou d’amantes). Dosez le sirop de grenadine jusqu’à l’obtention d’une délicate teinte rose cuisse de nymphe émue (R : 255; V: 105; B: 180). Prélevez un godet de cette mixture que vous porterez au rouge passion.

Déposez au fond de chacun de vos deux moules préalablement mis au réfrigérateur une des deux fraises des bois, noyez-les sous une ou deux cuillères de votre crémant rouge passion et patientez jusqu’à sa prise. Ayant alors la garantie que vos deux fraises ne surnageront pas, emplissez vos deux moules de la laitance rosée puis posez-y vos deux moitiés de pêche, qui, en accord avec le principe d’Archimède, y affleureront.

Mettez votre gorge au frais pendant deux bonnes heures au moins.

La dégustation : 

Quand, après la fourrée de boudeuses au champagne rosela poilée créole aux petits lardons, les fromages bleus et vert relevés par un rouge millésimé, viendra l’heure tant attendue du dessert, démoulez vos deux moitiés et disposez-les symétriquement aux deux foyers de votre plat elliptique et vermeilleux. Donnez aux pointes une allure plus grumeleuse en saupoudrant de poudre de cantharides puis versez autour des deux mamelons votre coulis de fruits rouges.

Réchauffez votre Lacrima Christi, répandez le rapidement sur votre coulis et flambez.

Quand le bucher sera éteint, partagez, avec un couteau de boucher, votre paire de seins entre vos six invités qui, à leur tour, pourront jouer aux vierges martyres car… pour ne pas faire de jaloux, vous vous serez sacrifié(e), gardant les têtons par devers vous.

 

Trois remarques 

1) Le type de moules ici requis n’est pas (encore) commercialisé. Chacun(e) devra donc faire preuve d’ingéniosité. Un chef-coq de la vieille école, qui abhorrait les soutien-gorges, me conseilla d’approcher la nourrice d'un obscur descendant du divin marquis - dame qui était du style matrone romaine plutôt que geisha japonaise - et de lui demander l’autorisation de mouler sa poitrine au silicone : produit d’un usage facile, il reste souple et se démoule sans trop de difficulté. Je n’ai pas suivi son conseil... ni celui d'un médcin mexicain qui avait ausculté une mamelle de près de quarante kilogrammes.

2) Si cette recette vous écoeure par son symbolisme cannibale, sachez que lesadeptes de la secte russe orthodoxe des Skopsty ou Mutilés, qui se châtrent par fanatisme religieux comme Origène, se procurent d'une façon bien cruelle encore  la matière nécessaire au sacrement de la communion: après avoir embobiné une vierge de quinze ans par des promesses paradisiaques, ils lui extirpent le sein gauche pendant une immersion dans un bain d'eau chaude. Cette chair est alors découpée en menus morceaux  que les assistants consomment crue dans un calice de vermeil. Ensuite la jeune fille ou folle est retirée du bain et déposée sur l'autel, toute la communauté exécutant  autour d'elle une sauvage bacchanale tout en la consolant de variantes du cantique des cantiques.

3) Si vous estimez que votre paire de nichons louchent, murmurez, avec Max Jacob, cette supplique: "La petite a les seins trop écartés, il faut soigner cela à Paris : plus tard, ce serait vulgaire. Mais, à Paris, toutes les boutiques se ressemblent : or et cristal ; médecin des chapeaux ; médecin des montres ; où est le médecin des seins ?"

 

 

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