Le Petit Jeu de Blocs Tout en Rondeurs

De Paul Gonze
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EN L’ABSENCE DE TOUTE RÈGLE

Ce casse-tête est avant tout un outil pédagogique. Riche d’enseignement à tous les âges de la vie. Facteur d’exaltation sentimentale et d’intégration culturelle de ses innombrables praticiens. D’une logique combinatoire s’accordant aux directives du Ministère de l’Education sur la pluridisciplinarité. D’une rare polyvalence donc sauf pour les idiots qui voudraient s’en servir comme casse-couilles.

Plus avisés, les tendrons du cycle maternel - ceux chez qui, on ne le répétera jamais assez, « tout se joue avant six ans » - y trouveront les pierres d’angle de leur cursus d’éveil aux techniques des beaux-arts et de procréations. Des briques sur lesquels ils seront autorisés à baver sans réaliser qu’ils embourberont ainsi dans leur subconscient quelques facettes de perfection esthétique et de séduction féminine. Idéaux que, dès la puberté, ils se verront condamnés à poursuivre au hasard de tremblantes caresses et de gauches croquis.

Pour les élèves du cycle primaire mais aussi pour tous ceux qui sont restés, même au-delà de la pension, d’éternels enfants, les planches du jeu à assembler devraient stimuler leurs activités psychomotrices et catalyser les plaisirs rétiniens en jouissances tactiles. Méticuleusement, répétitivement découper, plier, assembler… peaufiner 24 cubes aux coloris incohérents et aux lignes insignifiantes semble, de prime abord, une fastidieuse perte de temps. Mais que transcendera bientôt, toujours assez tôt l’apparition, quasi miraculeuse, d’images idylliques. Ainsi ce modeste jouet s’avèrera profonde source de patience mais aussi d’hédonisme, laissant pressentir que l’intensité de toute extase dépend de l’application accordée aux opérations préliminaires.

En humanité, il s’interiorisera en une parabole philosophique sur les paradoxes de l’être et du néant. Sur la cruelle nécessité d’avoir à renoncer pour évoluer. Sur le dilemme de conserver chaque carton dans son état originel pour inlassablement en comparer les envers et endroits ou de les charcuter pour enclore leurs parts de rose dans les ténèbres de boites à mystère. Et s’ouvrir ainsi à d’autres niveaux de perception. De surréalité oserait-on dire où l’addition de débris de non-sens se révèlent multiplicateur de visions globalisantes.

Rien de directif dans cette leçon de choses mais un virage au processus initiatique. Qui oublie la crue fonctionnalité des organes, qui platonise les mécanismes de sécrétion des humeurs, qui brouille l’obsédant murmure des âmes, qui refoule ses angoisses mortifères, … ne s’extasie-t-il pas plus de chatoiements superficiels, du parfum d’une fraise, du grain d’une toile ? Ne vaut-il pas mieux se délecter, de peinture et du reste, en aveugle, les yeux clos ? De quelles rêves s’enivrer sinon de ceux camouflés par l’instinct et la culture sous l’épiderme et l’hypothalamus ? (cfr note in fine)

Questions existentielles que les plus naïfs, les plus sages survoleront, se contentant de manipuler médidativement tel ou tel parallélipipède comme une œuvre en soi, un grain de sable reflétant la courbure de l’univers. Redonnant vie à d’étranges cadavres, si exquis qu’ils n’auraient pas déplu aux plus pontifes des surréalistes. Auréolant de poésie des chimères à cinq seins, ou sept pieds, ou neuf yeux. Les transcendant dans d’inédites positions copulatoires. L’absolu est une divine abstraction !

D’autres, se croyant plus engagés, les éluderont en dénoncant cet accessoire comme un enième gadget de la société de consommation, incitant les cochons de payeur à vouloir toujours plus grand, plus chic, plus cher, les abandonnant toujours plus frustrés. Ils n’auront pas tort. D’autant que la présente version du « Petit Jeu de Blocs Tout en Rondeurs » est élémentaire, d’inspiration conventionnelle et relativement bon marché ; qu’une variante de classe supérieure, comprennant 48 planches interactives et un détail de la Vénus en grandeur nature, a tout pour plaire aux accros des jeux solitaires ; que le modèle super de luxe, au tirage évidemment limité, combinant 69 planches pour une mise en scène d’une plénitude sans pareille, est réservée aux opiomanes du beau sexe ou des beaux-arts ; qu’enfin un ersatz d’une artificialité toute contemporaine, déconstruisant les conventions picturales de l’avant-garde du siècle passé, ne manquera pas d’interesser les marginaux, déviants et autres esthètes blasés ; last but not least, qu’une production spéciale est à l’étude pour les minorités homosexuelles et la majorité féministe, bien que la matière première s’avère d’une tenue moins régulière…

Ainsi donc, ici encore, un exercice de perversité ? Rien que les fruits gâtés de la délicieuse frustation ? Des masses angulaires débordant de trop d’oisive légéreté et de débilitante eau de rose ? Quand enfin écrasera-t-on la bête immonde ?

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