COUP DE VENT SUR LE RÊVE

De Paul Gonze
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Vous pouvez imaginer une grande table, ronde et couverte d’une belle nappe jaune qui rit au soleil. Avec deux assiettes bleues comme l'azur, des couverts et deux verres. Pas en cristal les verres, non, des verres de tous les jours qui s’arrondissent et se réchauffent dans la paume de la main quand on trinque à l’amitié, ou à l’amour. Deux chaises aussi qui se font face, une noire et une rouge. Ou l’inverse…

La table et les chaises attendent au soleil, à la terrasse d'un café méditerranéen, ou sous les amandiers en fleurs, ou dans la résille d’ombre d’un vieil olivier dont les branches ploient sous le poids de ses fruits.

Vous vous impatientez aussi de reconnaître le couple invité à jouir de cette mise en scène… jusqu’au moment où deux ouvriers, en salopette ni grise ni brune, arrivent, poussant une brouette remplie de sable, de ciment, de parpaings. Sans rien dire, ils se glissent sous la table et entament la construction d’un mur si long qu’ils coupent la terrasse, le verger, l’oliveraie en deux puis qu’ils élèvent de manière à bloquer toute vue sur l’horizon : la table se retrouve emmurée dans les blocs de parpaing ; le ciment à coulé sur la nappe, débordé dans les assiettes, éclaboussé les chaises ; le travail a été vite fait, mal fait. Mais le mur est là. Les maçons sortent. Personne n’applaudit, la scène reste vide, le soir tombe, il fait de plus en plus noir, de plus en plus froid.

Quand, surprise, un enfant, habillé en clown orange et doré, arrive. Il vous sourit, un cierge à la main. Il veut éclairer la table mais ne sait de quel côté poser sa bougie. Il court d’un côte à l’autre du mur mais ne peut se décider. C’est fatigant. Vous avez peur qu’en protégeant la flamme de la bougie, il ne se brûle la main. Vous vous levez de votre chaise, lui demandez la bougie et, tendant le bras, parvenez à la poser en équilibre sur le faîte du mur. Mais de là-haut, elle n’éclaire ni les deux moitiés de la table ni les chaises, les plonge dans de plus sombres ténèbres.

Qu'importe: un souffle de vent automnal vient de moucher la chandelle.

 

Ce texte, de Krépuscula Goulagsky, est la traduction en mots du concept d’intervention urbaine proposé par l’asbl TOUT pour l’opération "Asseoir l’espoir" visant à financer une école de cirque en  Palestine: la construction, au milieu et dans l’axe de la rue Royale Sainte-Marie, en face des Halles de Schaerbeek, d’un mur dans lequel une table est prise et qui sépare un couple de chaises. Il n'a pas dépassé le stade d'exercice de littérature.

 

En bicane belgicaine, on pourrait s'imaginer que c'est plus facile!