Un idiot de génie

De Paul Gonze
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Je ne sais pas qui je suis. Peu de journées et surtout peu de nuits s'écoulent sans que je ne me demande si je suis un idiot ou un génie, une bête ou un ange. La chose, il est vrai, est ordinaire. Être humain, n'est-ce pas douter de son humanité, la soumettre à la question - dans la logique des tortures moyenâgeuses? Et l'artiste n'est-il pas humain au carré, écartelé dans la mesure où ce qu'il crée questionne le sens, la finalité de sa vie, de la vie?

Tout artiste, pour vivre, pour survivre - pour supporter les frustrations de sa précaire existence et future inexistence - se croît unique et s'estime porteur d'un message original. Je n'échappe pas, ici encore, à cette banalité. Moi aussi, n'ai-je pas quelque chose d'extra-ordinaire à communiquer, à partager? 

Le fou qui se prend pour Napoléon, n'est Napoléon pour personne d'autre que pour lui. Et Vincent Van Gogh n'était un artiste peintre pour personne, même pas pour lui-même quand il se suicida.

Ne suis-je pas, moi aussi, malade dans ma petite tête? Quand je pense à certains des rêves que j'ai conçus voire réalisés (1, 2, 3), je me demande si je suis débile ou illuminé... à tout le moins incompris ou, plus exactement, incompréhensible. Quand je relis certains de mes écrits (des petits tas de mots - esperluette - de lèvres et de dents - mes songes = mensonges ...), je me sens souvent stupide, vulgaire, pontifiant... un triple zéro, pardon un zéro au cube... puis le vent tourne, et je me trouve sensible, profond même, humain en vérité. Le vent aurait-il raison?

Mais si le vent avait tourné au Sud? Si des pluies printanières m'avaient un peu plus tôt arrosé? Si quelques frelons égarés avaient fertilisé les fleurs que j'ai tenté d'irriguer de ma sève? Pour quels fruits se seraient-elles fanées? Je ravale ma salive et mord ma chique, essayant de ne plus penser aux concours que je croyais avoir gagnés (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7... violette à bicyclette!).

Si je doute de moi et donc balance entre espoir et désespoir, une évidence, inéluctable cependant s'impose: je suis, ici et maintenant, un raté. Je n'ai aucune exposition en vue, aucun de mes textes n'est en voie de publication, aucune de mes élucubrations anartistiques ou designantes n'a été commercialisée. Mon nom et mes pseudo ne seront oubliés que par une petite centaine dizaine de personnes attendant de mourir dans ou avec la petite Belgique. Et ce wiki n'a qu'un lecteur assidu, con-pulsif, obsessionnel.

Pour m'en consoler, pour survivre d'aube en aube, je me raccroche au mythe de l'artiste maudit, me prend pour un génie incompris, me répète, après Marguerite Yourcenar, que "c'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt". Perçois, dans l'indifférence médiatique où je me noie, la preuve que je suis différent, original. Quelle leurre!

Est-ce grave, docteur Donald Ream? Dans la journée de l'univers, toute l'histoire de l'humanité n'a duré que quelques secondes avant minuit et ce que cette humanité appelle la fin du monde n'est que la fin de ses interrogations sur ce qu'est l'univers: le dernier des douze coups de minuit? Ding-dong? Bing-bang? Big-crunch?

Parmi les milliards de bipèdes qui ont fait zizi pan-pan et se sont bousculés comme vermine à la surface de la terre, combien savent qui est Homère, combien peuvent citer deux ou trois vers de la Divine Comédie ou du Cimetière Marin, combien rêvent encore de Marilyn Monroe et combien de Lou Salomé? Pourquoi se soucier de ce que l'on ne dira pas de moi quand je ne serai même plus poussières?

Á moins que des poulpes, ou des cancrelats, archéologues d'un proche futur (200 à 300 millions d'années?), plus résistants aux intoxications aux métaux lourds et aux radiations thermonucléaires, s'entichent de l'une ou l'autre de mes poèsimages ? La belle jambe que j'aurai!

 

Donc vivre - en boitant - ses rêves ici et maintenant... ou jouer encore autrement avec les mots ? ou en se promotionnant déconservateur du Petit a-Musée?

- "Et t'es-tu donc bien amusé, l'ami?" lui demande Unalala Bwana.

- "Et n'es-tu pas animé par le désir d'encore pondre d'autres perles?" renchérit Krépuscula.

- "Et serais-tu vraiment fatigué de pratiquer l'art de se poser d'inutiles questions?" conclut, sentencieusement, Franz Desrêveux.