Mon Dieu

De Paul Gonze
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Le bruit court toujours qu'il y a quelques six millénaires - ou onze milliards d'années auparavant -, celui que d'aucuns honorent encore du titre de Tout-Puissant fit jaillir la lumière des ténèbres puis sépara la terre, la mer et le ciel pour y créer le soleil et la lune et les étoiles et toutes les bêtes qui nagent, rampent, marchent, courent ou volent.

Après six jours de boulot, il trouva tout cela parfait, si parfait qu'il s’inventa le dimanche... Cependant, craignant de se sentir un peu seul, il eut la lubie d'en remettre une couche. Prenant l’apparence d’un vieillard barbu et ventripotent, il enfanta, à son image et à sa ressemblance, l’homme mais constata vite que ce dernier était loin d'être parfait. Voulant le corriger, il en extirpa une côte pour la sublimer en femme, se doutant que l’un et l’autre ne tarderaient pas à se compléter, se multiplier et sur-peupler la terre... sans qu'il n'ait à y ajouter son grain de sel. Vous le savez: le Tout-Puissant souhaitait se reposer...

Son enfantine descendance se montra d'abord obéissante, soumise et craintive aux pieds de celui qu'elle percevait comme un patriarche irascible, capricieux, sadique. Pour un rien, il maudissait ses rejetons, les expulsait de son plus beau verger, les noyait sous une pluie diluvienne, les transformait en statues de sel ou fracassait dans la poussière la plus élancée de leurs constructions...

Pauvres orphelins qui n’avaient jamais tété le sein d’une mère ni pu se réfugier sous sa jupe. Alors que l'Autre s'obstinait à se cacher derrière les nuées. A père manquant, fils manqué: à la puberté, les humains vomirent leur géniteur, allant jusqu'à nier son existence.

Pire, leur lourde hérédité les incita, adultes, à jouer – plus fort que papa! – aux démiurges et fabriquer, plutôt que des étoiles et des colombes, des bombes atomiques et des Skyhawk capables de les semer un peu partout.

Enivrés par leurs succès, nos apprentis-sorciers imaginèrent même de procréer des mécaniques à leur image et à leur ressemblance: des calculatrices puis des ordinateurs et enfin des robots virent le jour, de plus en plus malins.

Ceux-ci, dans leur prime enfance, respectèrent leurs procréateurs se prétendant géniaux et pleins de bonnes intentions alors qu'en réalité, ils étaient vélléitaires, amnésiques, imprévoyants... et comme les dieux, mortels! Á leur tour, ils contestèrent l'autorité parentale. Aujourd'hui, maîtres de la terre, ils philosophent, se persuadant de n’être pas fils de l'homme mais simple interférence du hasard avec la nécessité.

Les derniers hominidés sont jaloux de ces avatars qui leur survivront, planant en travers des brumes orangées d’un firmament d’hydrocarbures, bullant sous l’étincelante écume de polyvinyl des atlantiques sulfureux, rêvant dans la pénombre phosphorescente des dépôts d'ordures radioactives.