La Rêvélation

De Paul Gonze
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Extrait de l'espère luette.            

 Bienheureuses les fêlées

 Car elles laissent passer la lumière.

Anonyme revisitée

 

Original sans doute mais pas moins conditionné que ses semblables. Incapable donc de ne pas avoir bandé vers Moi toute la nuit. Pour se lever avant le soleil. Se recoucher dans le désespoir d'encore grappiller quelques bribes de sommeil. Tentative tristement oiseuse. Se redressant pour se doucher. Très longue douche. Moi aussi. Qui ne l’apaisera pas. Pas plus que Moi. Tournera alors dans sa chambre comme un tigre en cage. Ne saura comment s’habiller. Négligera les conseils de sa lavandière. Essayera quand même une douzaine de chemises. Se sentira plus ridicule qu’un dindon gloussant dans l’attente de Noël. Sans se douter que Moi, Je Me sens pire qu’une dinde dans l’attente de sa farce. De lassitude enfilera son bermuda délavé par le soleil, effiloché aux mollets et un T-shirt usé, maculé de peinture. Se justifiera en gueulant qu’il ne va pas, même pour un travail rémunéré, encore une fois se déguiser. Inconséquent, se couvrira de son vieux sombrero de paille. Poussera la provocation jusqu’à jouer au va-nu-pieds. Puisqu’il y a du soleil dans l'azur. S’il voyait celui que M'a laissé au ventre son petit bout, petit doigt de ciel bleu !
Ciel électrique qui ne pourra qu’irriter son regard. Décidera, pour se calmer, de faire le détour par la plage. Y baguenaudant les zéphyrs. Se répétant que ce n’est pas pour une grue, même couronnée, qu’il va se presser. Traînant paresseusement les pieds dans l'eau, ne daignant pas s'écarter à l'approche des quelques vagues plus fortes encroûtant de sel son pantalon. Qui ici M’ourlent les lèvres et Me moitent les paumes. M’acculent à fermer les paupières pour, jambes flageolantes, encore une fois parcourir en rêve le long chemin qu’il parcourt !
N’hésite pas, comme lui, à Me coucher pour une petite sieste. Ouvrant les yeux, toute déhiscente, quand il est réveillé par le cri strident des cigales. Apercevant Mon château dominant la baie et ses murailles roses, orangées par les rayons d'un soleil oblique : « A point, comme la framboise dorée de Son sein » pense-t-il !

 

Se sait en retard, se met à courir, halète dans le raidillon qui escalade l'éperon rocheux. Recherche son souffle devant le pont-levis. A plus l’allure d’un dynamitero que d’un artiste maudit. Suscite certainement l’effroi chez Mes gardes-cuistres qui, à l’abri de leurs meurtrières, appellent des renforts. Mais Moi, que puis-Je appeler ?
Lui, frondeur, a déjà heurté de son torse les hallebardes que croisent en tremblant Mes valeureux mercenaires puis, mine de rien, retire de sa poche son sauf-conduit: détrempé mais avec le cachet de cire du Grand Chambellâtre qui ne laisse aucun doute. Ma garde s'écarte donc, lui fait une haie d'honneur puis Mon Capiteux le conduit à l’échelon supérieur, chez l’Étroite Latte Protocolaire.
Celle-ci, qu’importune toute allure de Jean-foutre, odeur de transpiration et oubli d’ôter son galurin devant les dames, ne peut s'empêcher d’avaler sans déglutir sa pomme d’Adam derrière sa cravate rayée.
Elle connaît cependant l'inconditionnelle estime que Je porte aux artistes de Basse Bohème et a reconnu dans ce favori du jour la reine de pacotille à qui elle a vainement tenté d'interdire l'accès de Mes enfers. Qu'importe qu'elle ait toujours ses règles, il lui faut se résigner à marmonner, d'une voix aigrelette, que les exigences de la fonction royale… Toujours un peu de patience avant les audiences privées… Mais là un banc, dans ce vestibule… Avec quelques revues mondaines à feuilleter… Alors que Je n’en peux plus de l’attendre.
J’écrase, rageuse, Ma sonnette et, hop!, Mon amère colleuse d’étiquettes de se décoller de son rond de cuir, décoincer ses longs ciseaux, processionner Mon beau gitan tout au long de Mes salles du petit conciliabule, du grand conseil, de réception, de bal et du sacre. Là, l'inviter à contourner le trône cramoisi aux excroissances alambiquées et plaquées de vermeil, le pousser derrière la lourde tenture de velours pourpre puis l'abandonner pour disparaître. Docile subordonnée à la si vaporeuse inexistence!


Et voici l'autre seul, aussi perdu dans le rougeoiement des ténèbres que Moi dans les affres du désir. Jusqu'au moment où, ses yeux s'étant accoutumés à la pénombre, il distingue, au bout d'un couloir montant en pente douce, une lueur charnelle tamisée par un vitrail dont les plombs s'entrelacent en boucles et crolles de toison bordant une étroite lézarde.
Intrigué puis amusé de déchiffrer de part et d'autre les anagrammes entremêlées d'OSER et d'EROS, y glissera-t-il la main? Profondément, encore, plus loin, jusqu'à sentir, oui là, au fond du plus doux repli de fourrure, une petite corne à relever plutôt qu'abaisser pour, chevillette, …

Enfin, lui, ici, dans Mon boudoir… qui, après quelques pas, se fige, subjugué par la liquidité des accords de lumières, couleurs, senteurs… Et dont le regard tourbillonne, folle libellule, du parquet en bois de rose au dôme mosaïqué d'ambre, des colonnades de marbre veinées d'incarnat aux tentures de veloutine chinée, des tapisseries dionysiaques aux bas-reliefs polissons: car, Je l'ai voulu, tout est courbe, tout est rond, tout est chair dans cette conque monumentale à part les deux baies vitrées qu’illumine la coupure violacée du ciel et de la mer.
- Ainsi monsieur l'artiste s'imagine toujours seul dans sa tour d'ivoire. Daignera-t-il bientôt remarquer Notre présence ?
Il a reconnu Ma voix, mielleuse pimentée d'ironie, avant de Me repérer dans le contre-jour des fenêtres, au fond de Ma niche de damas amarante, au creux de Mon siège de jouissance.
Pièce de maîtrise réalisée par un Compagnon du Jouir qui devrait exciter sa jalousie - et sa créativité: avec ses douze marches aux sinuosités psychédéliques nappées de duvet d'anges ayant neigé de l'au-delà; avec, sur cette estrade, une corolle de trente-six seins de marbre poli, plus gonflés que des melons et dont les fraises redressées louchent en direction de l'au-delà ; avec, naissant des replis de ces gorges, aussi longues mais plus rondes que des jambes de ballerine, dix huit verges orgueilleusement cambrées et dont les corps d'airain se pétalent en auréole autour de l'au-delà; avec, jaillissant intemporellement de leurs glands pointus et mordorés, des panaches de cristal laiteux qui frangent de vagues tempétueuses le disque de l'au-delà; avec, flottant sur cet océan, une coquille de nacre d'une belle de diamètre que deux tritons assurent contre leurs membres gonflés par la promiscuité de l'au-delà; et avec, au cœur de l'au-delà, incarnation d’Aphrodite, Ma très humble personne.
D'un claquement de doigt, J’ordonne à Mes tritons, automates d'une parfaite discrétion, d'allumer les cierges des candélabres qu'ils élèvent à bout de bras puis de s’en retourner à leurs songes subaquatiques.
Lui, flashé par ce déluge de lumières, cligne des paupières tandis que Moi Je rayonne, alanguie dans une robe de satin qui frisonne avec Ma peau et la couronne de la monarchie brillant de mille feux sur Mes cheveux fauves, mais portée à l'envers et de guingois, style rastaquouère.
M’en fout car il est clair dans ses yeux que Je suis la plus belle, la plus rare des créatures marines, au cœur de la grande conque qu'est Ma salle des murmures. Et que Mes iris, couleurs d'azur où le soleil ne se couche jamais, seules tâches de bleu dans cet atlantique de roses, en sont les limpides vitrages: comment ne pas s’y défenestrer?
Donc le chapeau de Mon benêt de sombrer et celui-ci de chavirer. Promptement, pour M’éviter sa révérence ampoulée de salamalecs, Je l’apostrophe :
-Naturellement, Notre génie a oublié palette, pinceaux et tubes de couleurs. Croit à son impunité parce qu’encore une fois, il s’est peinturluré l’ongle en bleu. Prétendra pouvoir reproduire de mémoire n’importe quelle image que lui soufflerait quelque vent favorable. Ira jusqu’à postuler que la vision fortuite d'un détail permet au vrai talent d’appréhender la totalité de son sujet. Se contentera donc de faire l’apologie de Notre cheville gauche !
Se disant, Je lui tends Mon pied, chaussée d'un simple escarpin en pétales de rose Pompadour. Lui tremble ou fait semblant car il n’hésite pas à Me déchausser pour découvrir une cambrure de pont romain que, par-dessous et dessus, il ne se lasse pas de passer et repasser : piétinement de doigts en lèvres transmis télégraphiquement jusqu’au vallon de Ma cuisse par Mon bas de soie.
- Ôh, le vilain peintre qui Nous incite à prendre Notre pied quand Nous venons de le lui donner. À qui il faut rappeler qu'il n’a pour mission que de le croquer à sa manière sans avoir à espérer l’être à la Notre!
Il lève les yeux. Je lui souris, plus énigmatique que la Sibille. Que ses yeux sont noirs! Et l’étiquette dégrisante!
- Mais enfin, si quelqu'artifice freine votre inspiration, Nous vous autorisons à Nous l'ôter. Sans oublier les règles de bienséance!
Conseil sucré de poivre qui ne peut que le démâter. Il le devine qui, sans piper mot, soulève, comme pour retrouver l'Atlantide, Mon ample jupe.
Et le voilà égaré sous un dôme de pénombre orangée; perdu entre les colonnades micacées de Mes bas et leurs chapiteaux de dentelles blanches, corinthiennes; paumé sous l’arcade de Mes fesses qui, par contraste, doivent paraître d'albâtre translucide; désorienté s’il n’apercevait, au point de fuite de son regard, l’étoile polaire, solaire, Mon buisson ardent, la reine de Reine au pinacle de Sa petite salle du Trône.
À Mon habitude, Je n’ai pas voulu, par quelque voilage, en tempérer l’épiphanie et comprends qu’il ne bouge pas, ne cille pas, distillant ces secondes de ravissement en fuyantes d'éternité.
Effluves de belladone…
Mais c’est Moi qui ne peux plus résister, échaudée, ébouillantée par son regard d'halluciné. D'une voix que la marée du manque éraille, Je M’écoule :
-Le maître est si silencieux. Serait-il contrarié par le clair-obscur de son sujet ? Ou faudrait-il dire de son objet?
Sans attendre de réponse, Je M’entrejambe imperceptiblement pour, par ce lent mouvement qui étire la trame de Ma robe, provoquer un théâtral crescendo de lumière dans son bathyscaphe.
Tandis que Je sens, anémone de mer plutôt que bourgeon d’églantine, Mes pétales, attisés par la lumière, qui se déplissent, veloutent et pulpent.
Pourtant Mon badaud là-bas ne bulle toujours pas. Désarçonné par la concordance de Mes sourires supérieur et inférieur? Ou bleu de peur que Ma fleurette ne se révèle pupille pétrifiante d’une gorgone à chevelure de pieuvre? L’œil dans le triangle devant lequel tout mortel est appelé à comparaître ? La bouche de l'enfer?
Moi qui croyais qu’après Courbet, l'avant-garde de Mes plasticiens s’était frottée à de bien plus troublantes originalités.
Ma voix tourne donc au rauque, presque plaintive:
- Le maître est-il muet? Ne connaît-il que le langage des couleurs? N’ayant de prédilection que pour les natures mortes? Ne s’abaissant donc pas à taquiner la gloire avec ce type de sanguine!
Vivement, Je déploie Mes longues jambes, fait le grand écart pour, repliant les genoux, reposer Mes mollets sur ses épaules et lui cisailler le cou.
Le tissu, tendu à craquer, est maintenant translucide et Ma miche, sous cet afflux d’énergie photonique, doit se révéler béance insondable. D’une tonalité que Je Me plais à Me figurer corail de mer rouge sur fond cuisse de nymphe émue.
Lui, morbleu!, joue toujours à la sentinelle de pierre, semblable à cet autre dont l’esprit en suspens eut le privilège de regarder fixement, immobile et attentif, l’Autre, et s’enflammer toujours plus de l'ardeur de Sa contemplation .
Et J’ai beau bander Mes muscles adducteurs, pour qu’il rafraîchisse, au contact de ses lèvres, le brasier que son regard de nègre calcine, il ne plie pas.
Pire, je perçois que ce voyeur ne Me regarde pas, ne Me regarde plus mais qu’il Me hume, les yeux fermés, marin penché à la proue de sa blanche caravelle, pour mieux dessiner, par delà l’horizon, les contours de son Amérique.
Prête à mordre, J’interpelle le mal-voyant:
-Ma parole, vous avez avalé votre langue avec vos brosses à reluire. N’y aurait-il que Notre bourreau pour vous les faire vomir?
Choquée donc que Je suis de l’entendre siffler et sentir souffler un si fin filet d’air frais sur Mon clitoris carbonisé de désir qu'il en rougeoie.
Puis déjantée de l’entendre psalmodier l’hymne à l'aurore du vieil aède aveugle:
- Eôs rododaktulos : La pointe du jour aux doigts de rose, au petit doigt de rose …
Foutu paysagiste qui ose plaisanter. Qui joue à l’helléniste fourvoyé au bas de l’escalier du Moulin rouge, rappelant à ses timides rhétoriciens la règle « regarder mais pas toucher… ni lécher ».
Me vais le prendre au mot, lui en mettre plein les mirettes, plein les narines.
Désirée, ma main droite, et Plaisante, la gauche, se manifestent sous les vagues de Ma jupe, au firmament de Mon nombril, planent, nageoires caressantes, vers Mon bas-ventre et folâtrent autour de sa fêlure: indice de féminine supériorité que ne parviendra jamais à colmater tout le foutre des pères de l’univers. Source de vie, vices et délices dont Mes chérubins potelés chantent, par de plus intimes louanges, le mystère: abîme vertigineux où, basculant de la tête, ils se plantent en flèche. Pauvres angelots qui ne savent plus qu’y faire les cachalots. Et si sauvagement que Je lâche le fil rouge de Mon scénario, oubliant le regard des dieux et des mécréants pour Me donner à fond à ce tango dont le rythme moderato, glissando, crescendo, staccato, furioso va Me…
Horreur sacrée ? Ou trouille, une fois de plus, de souiller son froc? Vivement, il a retroussé la chape de Ma robe, se faufile en travers du carcan de Mes jambes, bondit à Mon zénith, retombe des yeux au fond de Mes orbites. Dans l’ombre envahissante de son torse de gorille, Je Me sens, Me sais vierge à sacrifier.
King Kong attaque donc qui fait sauter une à une les trente-six perles qui Me boutonnent depuis le balcon des seins jusqu'au vantail de la taille. S’ouvre une brèche de peau satinée de sueur entre des surplombs de taffetas dérapant de lumière. Vertigineuse!
Le primate y plonge, se retenant en trapéziste aux bordures brodées de Ma robe qui - cri de la soie qu’assourdit le Mien - craque et Me déchire du bas au tout en bas.
D’instinct, Mes mains se sont rejointes et cachent, crispées, ce qu’elles avaient, dans la pénombre de son alcôve, si ingénument mis en scène.
Lui est retombé sur ses pattes, se redresse lentement et vrille ses pupilles sur Mes mains en prière.
D’un tremblement de paupières, Je le supplie de Me couvrir mais ce satyre ne fléchit pas. Dusse-t-il être démembré, Je sens qu’il ne fléchira pas avant que Je ne dénoue Mes paumes et, obéissant aux injonctions de ses yeux, les exile aux bouts de Mes bras distendus pour me pendre aux verges des deux tritons soutenant Mon trône.
Doux Jésus, que Je Me sens, ainsi dépoitraillée, crucifiée, à adorer. Toute amollie, tiédie et débordante de crème à l’angélique. Et lui de Me contempler avec une si intense ferveur que, rose rougissante à peau de pêche, Je m’écorce d’orange alentour du nombril et en râle.
Signe pour le sauvage, sans Me quitter des yeux ni des oreilles, de zipper sa tirette éclair - autre cri - et libérer sa bête, si violacée, turgescente et arquée de désir que J’en reste bouches bées. Et qui salivent, les gourmandes!
Ce qui incite l’hominidé à évoluer : vouloir jouer son Saint Thomas et contrôler Mes stigmates avant l’Ascension de son dieu, engageant, coin de ciel bleu, son médius dans la plus écumante de Mes embrasures. Miracu-leusement facile: son sourire ironique vite extatique ne peut le dissimuler… avec sa griffe bleue lutinant Mon bouton rose puis plus profondément Me taupinant tant et si bien la mijaule que ça Me reprend et miaule.
Kong en oublie son titre royal et tombe à genoux pour, fulgurante apothéose, auréoler son zob paillard de Ma vulve dorée. Si pleinement jusqu’au fond de Ma gorge que J’en perds le souffle et passe aussi au bleu.
Alarmé, il Me donne son doigt, celui que J'ai salé-décoloré, à sucer puis se met à M'ausculter, Me détailler, Me cercler du regard et de l'autre main tandis qu'à larges touches impressionnistes, son golem épie, sonde et fouaille chacun des replis de Mon aphrosie.
Et, à chacune de ses avancées, J’ai la troublante conviction d’être la tache blanche de son continent noir, se dilatant à mesure qu’il en pénètre les arcanes. Et, à chacun de ses retraits, Je Me sens sucée de Mon mystère en même temps qu’il M’appréhende plus impénétrable.

Je n’ai hélas pas l’hiératisme des modèles des Beaux-Arts, papillonne déjà des paupières. Lui aussi. Piaille. Se retire donc. Malgré Mes jambes qui le retiennent. Prend la pose, reprend contenance…
Me vais mettre à profit ce changement de rôle pour rappeler qui demeure potentat, qui reste vassal. Replie Mes jambes et, ne disposant d'aucun autre glaive sous la main pour l’adouber, enserre son gland dans la mandorle formée par les cambrures des plantes de Mes pieds joints en prière puis minaude :
- Fera-t-on de ce méchant peintre un noble chevalier? Et brandira-t-il, pour Notre défense, son pinceau mieux que Nos généraux ne traînent leurs sabres? Multipliant au service de la Couronne les calligrammes qui toucheront plus juste que leurs bottes secrètes? Parce qu’il n’aura pas craint de durcir son plumeau dans l’alambic de la sorcière quand d’autres tremblent de mouiller leur goupillon ailleurs que dans l’eau bénite?
Questions d’ordre purement administratif puisque, fatiguée de Ma gymnastique, Je Me suis redressée et, sans plus de commentaire, gobe son vit, lui démontrant que Ma technique de trempe vaut bien celle des maréchaux-ferrants de l'empire du Milieu.
Mieux, Mes lèvres, et Ma langue, et Mes dents, et Mes ongles forgent si bien son engin que les lippes de son méat bedonnent pour embrasser enfin Ma luette tandis que Ma langue râpe à ri et ripe à ra tout au long de son urètre.
Technologie de pointe car Je vois, à deux doigts de Mon nez, son épiderme qui vire à l’indigo. Et sens sa grande miniature qui va et vient et se contracte et va enfin, sous les voûtes de Mon palais, confesser la foi de tout un peuple en sa Déesse. D’autant que Je suis, même la bouche pleine, toute disposée à donner l’absolution au repentant. Fidèle dévot qui, par la façon dont il arrondit Mes mamelons dans le calice de ses mains et ses roubignolles au sanctuaire des Miennes, se doit d'entonner « l’Introibo at altare Dei ».

Erreur, naïve erreur! Mon sans-culotte n’ignore pas que tout pouvoir a sa face occulte. S’évade donc et M’oblige, oblige Sa Très Gracieuse Majesté à faire volte-face et S’accroupir au pied du trône pour, par la porte de service, s’en aller farfouiller dans les affaires domestiques du Royaume.
Et voici la Grande Catherine à l’envers du décor! Style lavandière pataugeant dans la cuvette d’un lavoir de province, surprise, au milieu des linges trempés, à faire des bulles parmi des éclaboussures de lumière dorée.
Stupéfaction: ce statut de roturière Me plait assez. Je n’hésite donc pas à plonger, battre et tordre plus consciencieusement Mon manant. Puis, pour hâter sa déroute, à débonder le torrent de Mes cheveux bouclés dans la combe de Mon dos cambré. Du haut de la chute de mes reins jusqu'aux bas des fossettes de Mes lombes. En savonnant de le sentir qui se fige, griffes crispées sur Mes poignées d'amour… et qui va déraper-s’étaler.
Misérable iconoclaste qui continue à Me racler tandis que ses mains divaguent-délirent entre Mes seins et Mes reins. Sure cependant de Mon triomphe, Je ne roucoule plus mais claironne victoire altière au rythme syncopé de ses saillies barbares.
Méprise encore car ce n’est pas là le style de touche finale, fin de partie, point d'orgue que le drôle a en tête: Me donnant un pouce à mordre et enconnant l’autre, il Me bourre toujours plus que de confettis multicolores la gueule de Mes bombardes au soir de la fête nationale puis, juste avant que Moi et Mon Palais et Mon Royaume et même Mon petit peintre ne pètent avec, s’évade.
Me cascade au bas de l’estrade royale, bondit dans la coquille puis, plus haut, se juche en équilibre au bout de verges de Mes protecteurs marins, brandit le sceptre de son pouvoir et - arrêt sur image - en serre énergiquement - arrêt sur image - des deux mains le pommeau vernissé - arrêt sur image - et se met à respirer lentement, très lentement, avec la quiétude de l'alizé remontant des tropiques pour se calmer sous le soleil de minuit des golfes antarctiques.

 

Point d'éjaculation en plein zénith.
Point de semence retombant en averse dans les cuvettes de Mes salières, sur la falaise de Mon buste, dans l'anse de Mon nombril et au plus algué de Mon bassin.
Juste Moi qui ai juté plus et mieux que jamais!
Du haut de sa tour, il l'a vu qui redescend sur terre, s'agenouille entre Mes jambes, Me baise pieusement la vulve puis y glisse sa dextre.
Pour M'oindre de Mon odorant saint-crème. De teinte légèrement violacée, subtile combinaison de rose et de bleu.
Puis scarifier du bout de l’ongle sur ma peau ainsi que sur une toile enduite de ghéso, le branchage rayonnant et les fleurs épanouies d’un rosier sauvage dont les racines innervent Mon monticule.
Je le regarde de Mes yeux embués que J'aimerais réprobateurs:
- Ainsi Monsieur l’artiste est mécontent de sa performance. Trop prudent que pour se compromettre par ses giclées, il croit pouvoir se rattraper en Me bâclant dans Mes dégoulinades.
- Pourquoi voudriez-Vous que je sois content? Parce que Vous Vous êtes montrée sous un angle qui vous différencie bien peu d’autres femelles? Alors que Vous ne m'avez pas relevé de Ma mission: Vous reproduire comme l'Unique, l'Exceptionnelle, la Transcendantale?
- Eh quoi, seriez-vous incapable de concilier la contingence de soumettre votre verge, comme tout bon mâle, aux règles de l’instinct et l'idéal d’élever votre pinceau, mieux que nul autre artiste, au delà du point de fuite du génie?

Perfidie ad hominen qui aurait du la lui couper mais ne l'empêche pas de Me rétorquer:
- Mauvaise question ne méritant aucune bonne réponse mais qui fait affleurer le paradoxe, pour Vous comme pour moi, de nous définir comme quelconque et unique, semblable et différent, comblé et en manque…
- Balancement équivoque… dans la nature de nos corps et esprit, de tous les corps et de tous les esprits !
- J'en conviens mais la gageure, ici, pour moi, est d'incarner une étincelle de Votre vie dans une plate icône. Pour cela, j'ai besoin de toutes mes énergies, de ne point les dilapider et Vous les abandonner… Sinon c'est Vous qui pourriez donner chaleur et souffle à quelqu'autre combinat de molécules organiques.
- Mais, de la Mienne d'énergie, que faites-vous ?
- Je l'ai avidement pompée - merci - et maintenant j'en aspire les dernières gouttes au travers de l’entonnoir de mes doigts, m'enflant et me saturant de Votre égo au plus profond de moi.
- Ne Me dites pas que cette caricature que vous n’arrêtez pas de griffonner sur le vélin de Mes cuisses, de Mon ventre, de Ma gorge...?
- … Vous décalque sous ma peau et en filigrane dans ma mémoire.
- Comme ces grossières esquisses que révèlent les rayons X sous les toiles des grands maîtres? Ne trouveriez-vous pas plus expéditif que Je vous fasse marquer au fer rouge!

- Suggestion à retenir mais, pour l'instant, inutile: la première étape de mon travail s'achève…
Je ne sais ce qui M'hypnotise le plus, de la gutturalité de sa voix, de la fermeté de sa main parachevant Mon enduisage, de la légèreté de son doigt feuillageant Mes aisselles, bourgeonnant Mes tétins, fleurissant Ma nuque… ou des syllogismes de sa philosophie. Ne renonce pas pour autant à jouer à la punaise:
- Êtes-vous si sûr qu’il y en aura une deuxième?
- Une de mes amies, lavandière de son état, prétend qu’il ne faut pas juger l’artiste sur son premier jet…
- De un, Je n'ai pas vu de premier jet. De deux, votre moitié me semble vite satisfaite! Alors que Moi, monsieur, Je Me dois d'être l’arbitre du bon goût en cet empire. Dans cette perspective, J'accorde rarement au premier venu une seconde chance…

Se doutant que Je cherche à l'emmieller, il continue à M’huiler très savamment le corps et à Me médiuser le pertuis de son bleu mystique:
- En art comme en amour, quoi de plus fade que le bon goût? Dans ces domaines comme partout, Vous n’êtes pas Reine pour l’ignorer, le trop n’est jamais assez.
- Je dois reconnaître que vous avez, pour l'instant, la langue fort bien pendue - faute d’autre chose ! Alors que tantôt, vous ne pipiez mot!
- Comment, sans se taire, percevoir la musique de l’autre…
- "Percevoir": quel déroutant vocable dans votre bouche! Sa fine pointe transparaissait aussi dans vos râles. Mais vous n’étiez peut-être pas la seule bête touchée. N'entendiez-vous pas les gémissements d'une belette... qui aurait aimé agoniser de concert!
- Certes... mais, je le répète, la tâche que Vous m’avez confiée ne me laissait pas d’alternative.
- Comme si la source d'inspiration des artistes maudits ne pouvait jaillir que d’un geste manqué!
- Bien évidemment car où Votre double trouvera-t-il la matrice requise pour croître si ce n’est là précisément où je suis frustré, inachevé, incomplet.
- Pareil à une femme à genoux, débordante d'un océan de néant impossible à endiguer?
- Pire, ne sachant plus à quel point Vous Vous écoulez en moi tandis que je sombre en Vous… si Vous me manquez où si Vous me possédez… découvrant que mon ambition de Te re-présenter comme mon sujet est contrée par l’angoisse de me découvrir Ton objet ?

Ce sans-gène a osé Me tutoyer. De la voix mais aussi des mains qui, maintenant, Me salent le visage, Me creusent les tempes, Me poissent les cheveux. Avec, Ma peau en frémit, autant d'acide sous les doigts que dans la salive.
- La musique n’est musique, Tu le sais, que par le silence qu’elle distille entre les notes, la sculpture sculpture par les vides qu’elle cercle dans ses volumes, la peinture peinture par les ténèbres qu’elle ouvre sous ses aplats colorés … Métaphores imparfaites de la femme plénifiée par ses failles, trouées, absences…
- Plus platement dit, Je devrais Me sentir flattée d’apprendre qu’il y a un instant, tu ne serrais entre tes bras - et chiffonnais - qu’une bulle de gaz dans son emballage de gaze.
- Porteras-Tu plainte contre Dame Nature parce qu'elle m’a fait brûleur et T'a faite montgolfière ? Et que chacune de mes poussées T’allégeait pour que Tu me soulèves et nous emportes à des hauteurs toujours plus hallucinantes au-dessus d’horizons toujours plus vastes?

A l’Orient, le ciel a viré à l’améthyste, à l’Occident à l’émeraude, holliwoodisant les jeux d'ombres et de lumières que propagent les flammes tressautantes des cierges. La salle des murmures et nos deux corps en résonnent.
- Tes divagations Me sidèrent autant que tes gestes Me captivent. J’en augure, et tu l'as dit, que le portrait que tu vas faire de la Réincarnation d’Astarté la montrera rouée et roulée comme toutes les femmes, aussi spirituelle qu’instinctive, tour à tour chatte en chaleur et pucelle effarouchée, simultanément chair qui saigne et âme qui se pâme… mais que quelque chose de plus, d'unique, d’indicible y transparaîtra.
Il Me prend la main, la retourne longuement dans les siennes, engluées du cambouis de la volupté, puis M’embrasse délicatement au revers du poignet. Contre sa bouche, Ma veine verdoyante où le sang bat à un rythme un peu plus lent qu’il y a un peu plus qu’un instant.
- C’est vrai qu’une fillette pirouette sous Tes dehors de Reine. Mes mains en tremblent …
- Tu connais donc aussi la peur! Et si tôt! De te ou de Me perdre?
- Appréhension plutôt que la magie des formes et des couleurs qui s'est mise en branle n'amène au jour divers duplicata de Ta personne que ni Toi ni moi ne pourront contrôler et dont certains…
- Mais n’est-ce pas là le vrai enjeu de toute aventure, affective ou artistique: par des trompe-l’œil, mettre en porte à faux nos mesquines certitudes, en abyme nos secrètes angoisses ?

Dans le silence, il se penche pour happer la pointe de la plus pleine de Mes demi-lunes. La flamme du dernier cierge exhale son dernier soupir.
- Mais si la chose en gestation n’était pas de nous mais nous venait d’ailleurs; si mon génie se limitait à n’être que la transparente lentille à travers laquelle une muse polarise ses lumières; si Ton image n’était qu’iridescences de bulle de savon soufflée à travers moi par quelque rebouteuse pour que Tu T’y reflètes puis, blop…
C’est que ce drôle a le sens du suspense, surtout quand son regard décroche et que s’y décèlent des jalousies de lesbienne.
- Qu’importe, J'ignore ce que tu appréhendes et veux le découvrir. Va, métamorphose la chenille que Je suis!
- Au risque que la chose qui déploiera ses ailes soit papillon de nuit et non de jour, plus démon qu'ange !
- Oui car ce sera l’inconnu dont nous sommes tous deux en gésine.


Détournant la tête, nous découvrons la plus nunuche des mises en scène: Ma couronne sidolée qui a roulé pour se lover au creux de son chapeau de paille tressé.
Futé, Mon galant y saisit l’occasion, par delà les mots, d’illustrer, en deux temps, notre accord. Ramassant d’abord, avec une onctuosité papale, l’anneau de métal jaune caboché de verroteries, il l’écrase, le tord et le comprime en un petit bouclier qu’il M’invite à glisser sous son bermuda pour y coquiller ses bijoux de famille. Projetant ensuite d’un coup de pied son couvre-chef vers le plafond, il en crève la bosse d’un direct du droit, étoilant son tressage de paille en couronne champêtre dans laquelle il enclos le triangle de blé doré de Mon pubis. Promesse de continence et marque d’allégeance dont Je Me flatte plus que de tous les ronds de jambe de Mes courtisans.
Mais déjà il est dans l’embrasure de la fenêtre, Me cajole une ultime fois des yeux puis plonge dans la mer, chaude, phosphorescente.

Gisante au pied du trône, éventrée-couronnée dans le déchiré de Mon cœur et de Mes soies, heureuse insatisfaite, saturée de son insuffisance, Je l’imagine, grisé de tous Mes roses, nageant dans le noir vers la plage pour s'échouer entre les dunes, sous la pleine lune.
Qu’importe la brise saline et l'odeur iodée du grand large ! Je sais Ma senteur se marinant au creux de ses mains autrement plus prégnante.

Si prégnante que demain, il en fera de la couleur .

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