Homélies de Paul pour Sylviane

De Paul Gonze
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J'ai prononcée deux homélies pour Sylviane, celle qui a été ma compagne pendant une vingtaine d'années et qui est, qui sera toujours la mère de mon fils, de Nathan:


Homélie prononcée au Crématorium de Bruxelles:


Chère Sylviane,

   

    Nous qui restons ici ne savons pas où tu vas et quel sera le terme du grand voyage que tu as entamé. Dans cette incertitude, nous tenons à t’accompagner dans la sublimation de ton corps trop lourd en chaleur, lumière et cendres. Nous souhaitons t’encourager à progresser, calme et sereine, dans un ailleurs dont nous ne savons encore rien. Nous voulons te faire savoir par des chemins que nous ne connaissons pas, que tu resteras présente dans nos pensées, dans notre cœur et que, dans quelques jours, avec tous tes proches et toutes tes amies, nous allons encore affirmer à quel point ta présence parmi nous a enrichi notre vie.
   

   J’ai reçu hier, par des voies aussi immatérielles que celles qui, nous l’espérons, te transmettent l’expression de notre affection, ce poème de Rumi, envoyé par ton amie Espéranza, Espérance :


        Those tender words we said to one another
        Are stored in the secret heart of heaven.
        One day, like the rain, they will fall and spread
        And their mystery will grow green over the world.
  

       Ces mots tendres que nous nous sommes dit l’un à l’autre
       Sont conservés au cœur secret du ciel.
       Un jour, comme la pluie, ils tomberont et se répandront
       Et leur mystère fera reverdir toute la terre.


   Un autre ami, Alec de Selliers, m’a rappelé que « le souvenir de ton sourire restera pour toujours dans nos cœurs et c’est cela ton âme. La trace que laissera en nous ta mort est ton âme, à savoir ce lien d’affection et de complicité qui nous a unis quand la vie nous réunissait au rythme du temps qui passe ».

   Je voudrais aussi te rappeler cette très belle définition de Marguerite Yourcenar que tu m’avais transcrite sur un bout de papier : « Le regret, c’est la mémoire des désirs. »

   Je souhaite ici à notre fils, je souhaite à Yves, Anne, Alain et leurs proches, je nous souhaite à tous de te regretter en gardant en mémoire ton désir de vivre, l’intensité de ton désir de vivre.

Homélie prononcée en l'Église de Boisfort:


   Nathan, Alain, Yves, Anne, Michèle, Murielle, Marie, Aglaé, Émilie, Geneviève … et nous tous que Sylviane aimait appeler par notre prénom, nous voici acculés à comprendre, prendre avec nous, en nous cette dure, implacable réalité que Sylviane n’est plus, n’est plus qu’un peu de cendres… Á com-prendre que plus jamais nous ne verrons le bleu profond de ses yeux ni leur pétillement ironique, plus jamais nous n’entendrons ses conseils passionnés ni ses critiques désabusées, plus jamais nous ne sentirons la chaleur de ses baisers ni leur froideur … et pourtant …
  

   Et pourtant, Sylviane, tu as vécu avec une telle intensité, tu as refusé la mort avec une telle énergie et un tel courage qu’il faudra nous habituer à ce paradoxe que tu es toujours là, parmi nous, en nous… sans ton corps malade et douloureux, certes, mais sublimée en un champ d’émotions palpitantes, pareilles aux racines assimilant tes cendres dans ton jardin pour que bourgeonnent les roses parfumant l’air que nous respirerons.
  

   Pour cette métamorphose, ton plus beau coup d’éclat a été d’insuffler le souffle de la vie à de la cendre d’étoiles, à quelques atomes de carbone, d’oxygène et d’hydrogène, et d’ainsi donner le jour, la lumière à Nathan et me faire le plus beau cadeau que la vie m’ait donné.
  

   Mais d’être ainsi femme et mère n’a pas été ton seul champ d’honneur. Tu as multiplié les domaines d’application du don très particulier que tu avais, pardon que tu as de nouer des relations profondes et par là-même troublantes, éprouvantes avec ton entourage.
  

   Dès ton adolescence, tu as apprécié l’ambivalence de ce don, au chevet de ta mère quand tu l’as soutenue dans son combat contre le crabe noir, combat que tu as repris avec la même détermination, y perdant ton corps, l’allégeant pour, communicativement, grandir en esprit.
  

   Quand, il y a quarante ans, tu t’es épanouie en une des plus jolies filles de Bruxelles, tu as joyeusement joué de ce don découvrant, au travers des plaisirs couplés aux douleurs de s’ouvrir à l’autre, que rendre la lumière suppose d’ombre une morne moitié : ton regard en a été mélancoliquement approfondi, tes espérances teintées de philosophiques désillusions…
  

   Ainsi humanisée, fragilisée, tu t’es passionnée pour l’activité la plus gratuite et la plus essentielle de l’animal humain : l’art… en tant que dialogue avec l’autre questionnant le sens et la beauté de la vie. Et tu as choisi en particulier de t’impliquer dans ce microcosme révélateur de nos contradictions et aspirations qu’est le théâtre, avec les baladins du Miroir puis avec les comédiens du Théâtre du Cygne.
  

   Ces dernières années, ayant goûté à quel point la vie nous joue, tu as soutenu Alain, en particulier au sein de son cercle de bridge : réalisant que, en parallèle avec ces parties de dames, rois et valets, tu pouvais tisser des liens aussi chaleureux, rayonnant et brûlant que la vie : les innombrables amies qui, dans les affres de ta longue maladie, t’ont entourée et choyée jusqu’au dernier moment sont ici pour l’attester. Je tiens encore à les remercier en ton nom.
  

   Tu as enfin cristallisé ce don au travers de tes peintures, ces fenêtres que, par leurs harmonies de lumières et de couleurs, tu cherchais à ouvrir sur l’ailleurs et par delà lesquelles tes amis ne cessent de voyager et continueront à voyager en ta compagnie…
  

   J’étais à tes côtés quand, rendant ton dernier souffle, tu es partie de ton côté. Je fixais l’aorte qui, au creux de ton cou, palpitait doucement tandis que tu respirais de plus en plus paisiblement. Jusqu’au moment où ta bouche s’est ouverte, tes paupières se sont ouvertes, tes bras lentement ont pivoté et tes mains se sont ouvertes… La veille, Guibert Terlinden, ton aumônier à l’hôpital Saint-Luc, avait rappelé aux proches réunis à ton chevet quelle avait été ton émotion quand, te conférant le sacrement des malades, il t’avait priée d’ouvrir les paumes de tes mains pour y tracer à l’huile sainte le signe de la croix : signe d’offrande et d’acceptation que tu reproduisais au seuil de ton grand départ.
  

   Le lendemain, j’ai relu les lettres que tu m’avais écrites. En particulier, et je te l’ai rappelé au crématorium, tu avais griffonné à mon intention, à l’époque où les aléas de la vie nous ont séparés, sur un bout de papier cette très belle définition que propose Marguerite Yourcenar du regret : « La mémoire des désirs»".
  

   Je souhaite ici à notre fils Nathan, je souhaite à Alain, Yves, Anne…, je souhaite à tous tes proches et à toutes tes amies, je nous souhaite à tous de te regretter en vivifiant dans notre mémoire l’intensité de ton désir de vivre. Sois dès lors tranquille, Sylviane, tu as encore beaucoup de riches années à vivre dans nos peurs, doutes, enthousiasmes… Á éveiller en nous, à travers telle couleur du blé, tel accord aigu de violon, telle saveur de fruits de mer, de poignants éblouissements… Á fertiliser dieu sait combien de créations nous rendant plus solidaires et, je l’espère pour toi autant que pour nous, l’un ou l’autre être de chair et de rêve.

                                                                                                                Paul


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