Homélie pour mon père

De Paul Gonze
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                                                                           En l’Eglise Abbatiale de la Cambre, le 10 juin 1999

 

Chère Maman,
Douce compagne et chère belle-sœur,
Chers fils, frères et filleul,
Chers nièces et neveux, cousines et cousin, tantes et oncles,
Très chers amies et amis,


Il y avait, parmi les quelques deux cent mille fourmis et cigales humaines mortes dans la nuit du 4 juin 1999 un certain Jean-Albert GONZE qui, pour moi comme pour vous, était et restera toujours un être unique et irremplaçable, un homme qui nous a profondément marqué de sa haute stature physique, intellectuelle et morale.

Pour moi plus particulièrement, il est celui que jusqu’aujourd’hui j’avais eu le privilège de toujours appeler Papa et que mon fils avait la joie de surnommer Papou : Drôles de noms pour le géant taciturne à la moustache ombrageuse dans le sillage de qui mes frères et moi puis nos enfants avons appris à grandir.

Et nous garderons toujours dans notre peau le souvenir de l’époque où nous tenions dans le repli de son bras comme un oisillon dans son nid.
De l’époque où, apprenant à marcher, nous nous réconfortions en enserrant ses jambes comme le tronc d’un inébranlable chêne gaumais.
De l’époque ou nous ne nous endormions qu’après qu’avec son pouce, il ait tracé sur notre front le signe apaisant de la croix, sa large paume couvrant tout notre visage pour nous protéger des angoisses de la nuit.

C’est ce géant qui, avec la femme qu’il n’a cessé d’aimer, nous a donné la chance de vivre sous le vaste ciel du KATANGA. C’est lui qui m’initia aux secrets de cette terre immense ; Lui qui m’entraîna dans le royaume souterrain de la mine de KIPUSHI dont, à mes yeux, il était un des grands forgerons ; Lui qui, avec mon oncle Armand, m’expliqua la géologie des grandes carrières de KOLWEZI dont il sculptait les gradins cyclopéens avec ses amis qui me paraissaient d’autres titans : Maurice URBAIN, Henry FORTEMPS, Vladimir APRAXINE, Vzevolod OBOLENSKY …; Lui qui m’emmena chasser le roi des animaux dans les hauts plateaux de la MANIKA pour revenir, mais qu’importe, bredouille.

Plus tard, pour nos amis d’université qui l’avaient surnommé Citizen Kane, il était une imposante référence en même temps qu’un hôte généreux, grand connaisseur de vins et amateur de bonnes bières de chez nous.

Pour ses petits-enfants, il était le patriarche souriant mais mystérieux qui veillait sur toutes les réunions de famille que sa femme, Maman, Mammy… illuminait des lumières de Noël et du rituel de nos fêtes d’anniversaire.
Jusqu'en ces dernières années où la maladie l’avait diminué physiquement, dégradé intellectuellement pour finalement le recroqueviller à l’état fœtal
Implacable cycle de la vie qu’il a pleinement parcouru pour nous laisser, lorsque nous l’avons contemplé une dernière fois à la morgue, l’image d’un intemporel gisant au visage serein, hiératique et entre les mains jointes de qui un bouquet de roses rouges et non une épée a justement trouvé sa place.

C’est cet homme magistral par sa discrète générosité, son ouverture d’esprit, sa sensibilité humaine, son sens de l’honneur et le raffinement de sa culture que nous pouvions tutoyer alors que lui nous vouvoyait, voulant, par cette marque de déférence, nous apprendre que nous n’avions d’autre maître que nous-mêmes. Par contre il tutoyait nos épouses, compagnes et enfants, non par familiarité envahissante, mais, se sachant intimidant, pour leur témoigner l’affection avec laquelle il les accueillait dans sa famille.
Il ne parlait pas beaucoup mais savait nous écouter et parfois, exceptionnellement nous donner un conseil, car il nous voulait responsable de nos actes. S’il a rêvé que nous marchions dans ses traces d’ingénieur et surtout partagions sa foi catholique, il n’a jamais voulu nous retenir et nous a toujours soutenu quand nous nous sommes engagés dans d’autres voies. En une phrase, il nous a donné le sens et les moyens de la liberté.

Et pourtant, avec notre accord, ce géant ne sera tantôt plus qu’un peu de cendres et d’évanescente fumée. Nous nous en consolerons car ce ne sera là qu’une part d’illusion puisqu’en même temps, il se transformera en flamme et lumière, donc photons voyageant vers l’infini, et milliards de milliards d’atomes d’oxygène dont, en accord avec les lois des statistiques, nous fixerons, à chaque inspiration, quelques molécules dans notre sang pour continuer à avoir la force et la joie de vivre. En d’autres mots, je suis convaincu, comme il en avait la certitude, qu’il est associé avec son père dans le ciel, et sa mère, sa sœur, ses frères et tous ses amis.

Et puisqu’il est là haut et avec nous, je voudrais lui exprimer ma reconnaissance, lui dire ce que je n’ai jamais su lui dire: Mon petit papa, je t’aime. Sache que je ne suis pas triste que tu sois mort car tu es parti après une vie féconde et riche en nous donnant tout ce que tu pouvais nous donner. Je te demande cependant encore une chose : de là-bas et par tous les souvenirs que nous partageons, continue à nous aider tous, ton épouse, tes fils, petits fils et arrière petit-fils, à nous élever en hommes libres et tolérants.
Je te souhaite la paix de ton Seigneur.
… et te redis ce vers de Virgile qui a enchanté ton adolescence et que tu nous répétais les soirs de nostalgie : Tu Tityre sub tegmine fagi recubans … Toi, mon père, qui te reposes sous l’ombre des peupliers…

Et à toi Maman, et à vous, mes frères, fils et amis, je vous souhaite de rester ensemble avec lui dans le lumineux souvenir de son amour, de son amitié et de son respect.



                                                                                Ton fils aîné et bien aimé Paul

 

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