Homélie pour une Elisabeth

De Paul Gonze
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Elisabeth, chère Amie…

 

J’espérais avoir encore la chance, le plaisir de parler avec toi d’art et de rien à l’arrivée du printemps mais, avec la légèreté, la discrétion et la simplicité qui te caractérisent, tu t’es envolée. Sublimée au-delà des nuages qui obstruent l’horizon mais ne peuvent nous faire oublier le bleu de tes yeux, le bleu du ciel.

Tu t’y es envolée et c’est vrai que tu jouissais pleinement de ce privilège des oiseaux. Tu étais de leur race. Au point qu’un pigeon venait se poser sur ton épaule pour roucouler tandis que tu travaillais tes bois et tes argiles, que tu donnais corps, bec et plumes à d’autres mouettes, aigles ou hiboux dont tu lissais les ailes pour élargir l’espace de nos désirs et de nos folies.

Quand j’ai dis que tu étais de leur race, je me dois quand même de préciser que tu étais, que tu es toujours un drôle d’oiseau. Tu n’as certes jamais été de ceux qui grenouillent en ce qu’il est convenu d’appeler le bas-monde. J’oserais même dire que, si tu supportais les contraintes de la pesanteur, les lourdeurs de la corporalité, les épaississements de l’establishment, ce qui t’importait avant tout était d’essence immatérielle, nimbé de beauté, d’amitié et de vérité. Bien que couronnée de prix prestigieux, sculpteuse d’œuvres majestueuses, directrice de l’ERG que tu as conforté au niveau des meilleures écoles d’art européennes, tu te refusais à te définir comme artiste. Indifférente à la cote des marchands et aux codes de l’avant-garde, tu cherchais d’abord à créer pour te recréer, nous recréer. Récréation de plaisir aussi ! Donc jeu ouvert, collectif, convivial dans lequel tu intervenais comme celle qui fédère, réunit, dynamise. Celle aussi qui sait écouter et conseiller, mais qui, par son petit rire ironique, relativise la portée de tous les égotismes et nous rappelle à quel point nous sommes faits de l’étoffe d’autrui.

Cette ouverture à l’autre, tu en irradiais ton entourage mais tu voulais aussi, en grande voyageuse, l’illuminer des apports de ceux qu’on appelle les étrangers. Pour cela, tu migrais, chaque année, vers le sud, l’Ile d’Elbe, les Indes, Cuba, Zanzibar… pour en ramener, comme une cigogne vers son nid, des débris d’infini, des coquilles d’éternité et jusqu’à des airs de tango qui attestaient, à tes yeux, du potentiel créatif en attente d’épanouissement de tous les êtres.

Au début de cette homélie, j’ai dit que tu t’étais envolée pour disparaître au-delà des nuages. Je me trompais, ayant pourtant appris, comme toi, que le plus important est invisible pour les yeux. Sous le soleil de l’été, certaines hirondelles se plaisent à nous le rappeler en s’élevant si haut dans le ciel que, soudain, on ne les aperçoit plus. Ethérées en lumière, elles donnent alors au bleu du ciel plus de profondeur, toute sa profondeur.

Je crois que c’est ce que tu as aussi fait, que tu fais encore dans le ciel de nos calottes crâniennes. Tu élargis notre firmament, exaltes notre être ensemble, affines notre humanité : un vrai travail d’artiste.

Chère Elisabeth, si nous nous sommes réunis aujourd’hui autour de toi pour nous résigner à ne plus te serrer dans nos bras, nous pouvons nous en consoler en comprenant que tu es toujours avec nous, en nous. Non pas en tant que fumée noirâtre de crématorium mais en tant que bleu du ciel de tes yeux. Ciel d’une profondeur insoupçonnée où, aussi longtemps que nous ouvrirons les yeux, tu planeras, les ailes grandes ouvertes, invisible à nos yeux.

 

Homélie rédigée en hommage à une amie, Elisabeth Barmarin, décédée le 10 février 2010.

 

et qui maintenant est algnée avec d'autres textes, comme une croix parmi d'autres croix dans un cimetière.