DE LÈVRES & DE DENTS

De Paul Gonze
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Petit recueil illustré prétendant prouver que, contrairement au sourire d'Isidore Ducasse, "...le votre ressemblera toujours aux sourires des humains."

Dans sa préface, on peut lire:

"Elle et lui, je ne les connais ni d'Ève ni d'Adam." Expression populaire laissant entendre que le couple dont on parle, ses deux moitiés, ne seraient pas de la lignée des humains, ne pourraient être que des extra-terrestres. Expression dont la redondance, aux relents sexistes, doit être soulignée car qui peut prétendre connaître quelqu'un (et se connaître) en ne sachant rien de son père, son animus, et rien de sa mère, son anima ?

Ne faudrait-il pas plutôt y voir un euphémisme à l'usage de la majorité silencieuse aux bouches cousues. Voilant la crudité originelle de la formule: "Ceux-là, je ne les connais ni des lèvres, ni des dents". En d'autres mots, ces étrangers... je n’ai osé ni les embrasser, ni les mordre.

Mais qu’est ce qui sépare les lèvres des dents ? L'amour de la haine ? La vie de la mort ? L'Autre de moi ? Le vide du vide ?

Le néant qui dissocie et relie le tronc et l'écorce, ce que des moines Zen appellent le Ma... Ce qui, ici, entrelace une image, une empreinte avec un texte, des caractères d'imprimerie... Ni de l'indicible, ni de l'inaudible...

                                                                                                                       ...de l'aigre-doux ?

 

Suivent septante-sept empreintes de lèvres entremêlées d'aveux, murmures et soupirs dont ici quelques vingt-deux, à titre de mise-en-bouches:

                        ...Sp AV... Sp BE... Sp BI... Sp BR... Sp CA... Sp EG... Sp GL... Sp FY... Sp HA... Sp IN... Sp LR...

                                       ... Sp PR... Sp IS ... Sp SA... Sp TE... Sp RO...Sp MI... Sp PA ... Sp FM... Sp PM ...

                                                       ... Sp CL ...Sp SM... Sp BN ...Sp TI... Sp RC ... SP TR ... Sp GR ...

 

La postface rappelle que:

Le 19 juillet 2007, une femme a baisé un tableau, le marquant au rouge de ses lèvres.

La peinture victime - ou coupable - de ce ravissement, de cet "emportement hors de soi", est d'une vacuité immaculée, étant inspirée de "Phèdre", ce dialogue de Platon où l'amour du beau transcende l'amour physique.

D’aucuns pourraient y voir une tentative de dialogue entre deux artistes que tout oppose. L'un, Cy Twombly, citoyen des États Unis d'Amérique, patriarche de près de 80 ans, célèbre et coté en millions de dollars, colorie des fleurs dans la quiétude de son atelier de Toscane. L'autre, Rindy Sam, âgée d'une trentaine d'années, a fui un Cambodge bombardé par le Gendarme de la Paix, pour venir galérer dans la marginalité française en peignant ce que les experts appellent des croûtes.

"Viol… inexcusable acte de vandalisme ... parasistisme... cannibalisme… atteinte à la propriété intellectuelle", éructe-t-on dans l'entourage d'Eric Mézil, directeur de la collection Yvon Lambert en Avignon, ville des bulles papales et théâtrales, où l'œuvre était exposée et qui, pour le bisou, réclame plus de 50.000 euros de dommages et intérêts: réaction symptomatique du refoulement occidentalo-centriste qui stérilise l'art dans des musées-catacombes, rabaisse l'extase esthétique au niveau de calculs de spéculateurs et préfère, aux aléas de l'art de vivre et de l’émoi d'aimer, la consommation passive voire l'indifférence du grand public.

Elle voudrait faire oublier que d'autres hommes, en d'autres temps et d'autres lieux, barbouillaient leurs idoles de sang, brisaient les verges de leurs dieux, rhabillaient les seins de leurs saintes... ou nimbaient de feuilles d'or le sourire du Boudha.

N'étant pas milliardaire pour troquer cette variante de la Joconde moustachée par le Grand Maître des Urinoirs contre des milliers de rectangles de papier-monnaie, je ne peux que dédier ces accouplements de mots et d’empreintes à celle qui demeure une étrangère.

 

Ce texte a aussi été imprimée sur la toile "... pour rêver en rose donc en rouge donc en noir..." exposée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles durant le sixième édition Truc-Troc. Avec des pots de confitures de lèvres et une évocation aussi impie que nostalgique du baiser de Paolo et Fransesca.