Tentative de définition du mot crise

De Paul Gonze
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proposée à la demande de "Culture & Démocratie" pour le numéro 27 du journal-dictionnaire de janvier 2013


CRISE : nom féminin (du grec "krisi" = décision, et "krisein" = juger) : manifestation aiguë, violente, paroxystique mais transitoire d’un état morbide ou d’un trouble physique, psychique voire moral affectant un individu et dont l’issue transforme de manière décisive, heureusement avec la guérison, malheureusement avec le décès, la personne atteinte.
Peut être éprouvée comme positive (crise d’euphorie, d’altruisme, de fous-rires…) ou négative (crise d’angoisse, de jalousie, de larmes…).
Utilisé littéralement par l’institution médicale (crise d'appendicite, d'épilepsie, de colique néphrétique…), s’applique de plus en plus, par dilatation littéraire, au corps social, aux organes politiques, au réseau financier, à l’espèce humaine, à l’écosystème terrestre…

Quelques exemples illustrent l’amplitude de son champ d’application :
- Crise existentielle altérant le cours de la vie d’un individu. Causée par une séparation, un deuil, un accident, un licenciement, une faillite… ou par un déséquilibre hormonal durant la puberté, la ménopause ou l’andropause. Engendrant angoisses et stress qui contraignent l’individu à évoluer ou dégénèrent, en cas de blocage, vers la dépression ou l’addiction (alcoolisme, tabagisme, toxicomanie…) voire l’acculent au suicide.
- Crise de natalité, baby-krash, papy-boom ou hiver démographique ; diagnostiquée aux lendemains des golden sixties en opposition avec le baby-boom des années du direct après-guerre ; amenant des philosophes comme Raymond Aron à affirmer que « Les Européens sont en train de se suicider par dénatalité » !
- Crise moderniste questionnant les dogmes et valeurs morales de l’église catholique, soumise depuis le milieu du XIXème siècle voire depuis l’époque des Lumières jusqu’à nos jours, aux critiques de l’intelligentsia occidentale, promotionnant le rationalisme, le libéralisme et la sécularisation malgré les menaces d’excommunication, d’exécution théologique.
- Crise écologique marquée par une croissance exponentielle du nombre d’espèces en voie de disparition suite à la « colonisation » de la terre par l’homme, coupable de ce que les géologues considèrent comme la sixième extinction… et dont il risque bientôt de se découvrir exécuté autant qu’exécuteur.
- Crise de l’énergie, du pétrole, du nucléaire…, crise du livre, du disque, de l’automobile…, crise aviaire, porcine et de la démocratie…, crise de la langue française, de la culture et même des arts contemporains…, crise de la masculinité et de la tulipomanie …, épidémie de suicides.

Il apparait ainsi que le vocable « crise » est de plus en plus galvaudé, placardé de manière récurrente et abusive dans des contextes tellement distincts, sur tout et n’importe quoi et en particulier dans le dos de l’économie qu’il a été vidé de tout signifiant concret… plombant l’atmosphère de défaitisme, rancissant un sentiment collectif de résignation, véhiculant une impression quasi existentielle de « fin de monde », … définissant notre époque autant qu’il nous circonscrit !
Dérive d’autant plus débilitante qu’on ne parle plus de crise comme d’un phénomène transitoire, passager mais que des sages prédissent qu’elle va durer des décennies, leurrant la population pour l’installer dans une déprime sans issue et sans fin, éternelle… car comment médiatiser, commercialiser et rentabiliser l’idée qu’elle ne pourrait s’éteindre qu’avec notre disparition ?
Et cet abcès dont on nous laisse entendre d’une part qu’il ne crèvera jamais, on nous conditionne à croire d’autre part qu’il est tout jeune, tout frais… qu’il a vu le jour il y a à peine cinq ans, sous le signe de la vierge, en septembre 2007, avec le scandale des sub-primes. Alors que ce n’est là que son plus récent avatar, que la crise est aussi vieille au moins que la révolution française, qu’on peut coupler son avènement avec le rejet des valeurs spirituelles, humanistes, culturelles, supplantées par la soumission au principe tyrannique de réalité, d’objectivité, de rentabilité.

La crise dès lors ne peut plus être appréhendée comme conjoncturelle, ni structurelle mais doit être perçue comme systémique, essentielle et, paradoxalement, alors que son étymologie originelle la rattache aux valeurs de jugement et de décision, reconnaitre qu’elle se délite dans une perte de repères, une incapacité à prendre l’initiative, une passivité reflétant l’absurde et tragique nature d’une humanité en manque d’absolu.
Ces glissements sémantiques (technique de propagande consistant à remplacer une expression par une autre afin de la décharger de tout contenu émotionnel et de la vider de son sens) révèlent que le mot crise tel qu’il est récupéré, doit être décodé comme un euphémisme.
Euphémisme masquant machiavéliquement le caractère conflictuel des transformations socio-économiques écrasant les pauvres dans toujours plus de pauvreté et poussant les riches à jouer des coudes, pieds et dents dans leur course panique pour s’élever du 1% au 1 ‰. Parfaite illustration de la prédiction de Karl Marx sur la concentration du capital aux mains des happy few peu troublés par le rougeoiement crépusculaire d’un illusoire grand soir et se gaussant d’une classe moyenne et des anonymes artisans basculant dans la précarité.
Euphémisme voilant l’expression vulgaire, prétendument dépassée de « Lutte des Classes », de guerre sans merci ni rémission ni cessez-le-feu qui, comme toute guerre, charrie son tombereau de dommages collatéraux dont le caractère chirurgical prouve que c’est pour le bien du peuple que le bon peuple est charcuté.

Entre autres :
- Perversion des valeurs humanistes - primauté de l’avoir sur l’être - ou famine au sud pour gloutonnerie au nord - le « struggle for life » comme idéal - standardisation et rentabilisation à court terme des individualités - abrutissement télévisuel - acculturation et analphabétisation rampante - perte de convivialité et de reliance - le sacré et l’inutile, le poétique et le gratuit ne sont pas côtés en bourse …
- Avilissement du patrimoine culturel de la collectivité - croissance du PIB : valorisation de terrains à bâtir par démolition de monuments architecturaux - nivellement de l’enseignement vers le bas - bruitage assourdissant de surinformations aussi superficielles qu’éphémères - banalisation du star system dans la société du spectacle –rehaussé par le piment du scandale – puisque tout le monde est artiste……
- Appauvrissement généralisé - inflation ou déflation pour spéculation et délocalisation - faillites en cascades, licenciements collectifs, chômage endémique - car si un pauvre est pauvre, c’est de sa faute - le rêve mondialisé de la réussite à l’américaine - un bon milliardaire est un milliardaire fusillé - un fermier du tiers monde possède un million de fois moins qu’un nabab des finances – la misère n’a pas de prix …
- Destruction de l’environnement naturel - hécatombe des espèces cannibalisées par l’homo economicus - pillage, gaspillage et pollution des ressources naturelles - planification de l’obsolescence pour délire consumériste - stérilité - marées noires et nuées radioactives - réchauffement climatique – pour le bonheur des vaches folles, moutons tremblants, poulets grippés puis des cancrelats qui nous survivront …
- Corruption des principes démocratiques - avènement du culte de la personnalité - un sourire colgate plutôt qu’une idée – un chèque en blanc pour 4 ans - comment récompenser ceux qui soutiennent nos élus – sacrifier son autonomie à la ligne du parti – marchander la liberté au prix de la libre concurrence pour les néo-libéralistes – conditionner les moutons de Panurge - la majorité à toujours raison
- Dommages collatéraux se répercutant, s’amplifiant mutuellement et convergeant pour - banale prophétie dans un climat de décadence globalisée - un apocalyptique écroulement de civilisation !


Ou…

Ou, youppie, enfin, la métamorphose… au terme d’une radicale remise en question de nos acquits, d’un rejet définitif de nos habitudes, d’un saut qualitatif outrepassant le quantitatif, d’une ouverture élitiste sublimant le dogme selon lequel tout progrès est le fruit d’initiatives individuelles, contestataires développées dans un gratuite convivialité…
Découvertes que la fin du monde pour une chenille est le ciel qui s’ouvre pour un papillon*.

Exercice pratique : ayant substitué dans les articles de presse et les émissions radio-télévisuelles au mot crise le mot conflit (ou lutte des classes), se demander – sous quel drapeau combattre ? - au front ou dans les cuisines ? – comme sardinés d'or ou chair à canon ? – optant pour la neutralité, bénéficiant du statut diplomatique, se prétendant extra-terrestre ? – s’il est opportun, reconnaissant qu’on est déjà en territoire occupé et que le camp adverse est déjà vainqueur, de jouer au terroriste dans la résistance ? – avec quelles baïonnettes contre quels lance-flammes ? – à moins de se vendre comme mercenaire ou policier?

Remarque : Cette définition est en grande partie basée sur les informations collectées sur le site de Wikipédia, dans un article des Inrockuptibles du 12 septembre 2012 et dans l’ouvrage "Sortir de la crise par le haut", éditions de La Hutte, coordonné Par Louis Boël. Elle ne trahit que les sentiments papowétiques de son auteur qui n’est ni politologue, ni sociologue, ni philosophe. Anartiste en crise ?


  •  : Minute papillon, pour autant que ta chenille ne soit pas trop saturée d’OGM, d’organismes génétiquement modifiés ou d’organismes grassement monnayés. Rien n’est jamais donné.


mais encore à la recherche d'autres considérations sur la crise?