Pour une amie artiste?

De Paul Gonze
Aller à la navigation Aller à la recherche

Elisabeth (Barmarin) n’est pas une artiste. Elle n’a pas la cote. C’est de sa faute : elle s’en fout. Elle ne respecte même pas ses œuvres, les casse alors qu’elles feraient le bonheur des spéculateurs ; ou elle les garde dans le secret de son atelier pour les re-garder se charger de temps, se patiner, se craqueler. Parfois, elle en offre comme on aban-donne un petit bout de branche séchée sans se soucier de l’autre qui se retrouvera un peu plus lourd ou plus riche d’elle (d’aile !). Elle refuse de terminer, de peaufiner ses choses, les préfère imparfaites, in-finies, tremblantes de vie ; elle se défend de les embaumer, veut leur épargner le renfermé et la piétaille des musées . Elle n’a pas de temps à perdre à exposer, n’aime pas s’exposer. Elle se contente, insatisfaite, de se révéler patiemment à l’envers de miroirs défraîchis, de se dévoiler au milieu de boites remplies de statues brisées, de bois flottés et de poèmes illisibles, de se découvrir sous la cendre noire de ses dessins de chiens et esquisses d’oiseaux.

     Elisabeth est un drôle d’oiseau. Elle a pour compagnon de travail un pigeon qui niche dans sa chevelure, fiente sur les épaules des notables qu’elle sculpte et roucoule sur la tête de ses sapins. Elisabeth couve des aigles et des hiboux qui bourgeonnent au bout de branches mortes, mais dont on ne sait si elle materne leur envol ou prévient leur pétrification. Elisabeth héberge des mouettes qui, si elles ne se laissent pas engluer dans la marée noire de la réalité, ne parviennent pas plus à se dégager de la gangue blanche des rêves. Elisabeth voudrait voler et se poser sur une branche pour ne plus voler. Elle en est sans doute capable.

     Elisabeth plane au-dessus du monde et des modes de l’art : de la-haut, elle ne sait pas, ne voit plus très bien ce qu’est c’est ; elle n’est pas une inconditionnelle de Duchamp, Beuys ou Malevitch ; elle trouve plus de vie dans des têtes de papier mâchées ramenées d’un bazar indou. Ce qu’elle enfante est à son image, plein d’élans et de retenues, d’enthousiasmes et de pondération, de rêves et d’angoisses ; c’est une gestation dans la difficulté d’être donc de créer et se recréer ; ça nous allège et nous met à nu ; ça nous soumet à la question sans nous donner de réponse ; ça nous remet en jeu; Dans le jeu de la vie et de la mort. Et à ce jeu, Elisabeth joue à qui perd gagne. C’est une grande joueuse. Une artiste ?

 

                                                                                                        Avril 2001

 

En remerciement pour cette bafouille, Elisabeth a offert au Petit aMusée  une jolie petite branche qui a été réduite ou sublimée en kinedurekunmoman.