Pour sortir de la crise

De Paul Gonze
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                                                                                                ... PAR LE TRAVERS DES ARTS CONTEMPORAINS?

 

Avertissement : cette courte bafouille se veut outrancière, provocatrice, manipulatrice… pour, au-delà de ses approximations, généralisations et exagérations abusives, stimuler la réflexion, la controverse… une prise de conscience du rôle équivoque de l’art contemporain et de la difficile implication des artistes dans une civilisation en instance d’autodestruction... ou de métamorphose.

 

Les arts contemporains, par le biais de l’étiquette dorée octroyée aux vedettes étoilées de la société du spectacle, du capiteux parfum de scandale qui fermentent leurs productions, des bulles spéculatives faisant mousser les nababs des finances et leurs nanas, apparaissent comme les bouchons de champagne sautant joyeusement loin au-dessus d’une humanité en purée dans la crise.

Crise :euphémisme substitué au terme "conflit" opposant les plus aux moins, riches de plus en plus riches, culturisés et de moins en moins nombreux contre pauvres de plus en plus pauvres, paumés et incultes ; conflit basculant par ailleurs la classe moyenne et ses anonymes artisans dans la précarité. Et, comme tout conflit, dilapidant le patrimoine culturel de la collectivité, dévoyant ses valeurs humanistes, déséquilibrant sa symbiose au sein de la nature … avec la joyeuse complicité du gratin des artistes contemporains.

Le meilleur, le plus cher, le plus rare de leur production est en effet destiné, dans la logique du marché de l’art, aux collectionneurs les plus spéculateurs qui les monopolisent pour affirmer leur statut élitiste et les privilèges qu’ils s’arrogent. Eux qui osent se risquer dans la voie du progrès en flairant dans les œuvres les plus avant-gardistes des indices d’avenir (et de profit) alors que le vulgus pecus n’y perçoit que snobisme, arrogance ou insignifiance.

Fous des papes et des rois en Occident depuis la renaissance, les artistes sont devenus, à l’avènement de l’ère industrielle et du système capitaliste bourgeois, les faire-valoir des capitaines d’entreprises et des banquiers d’affaires, la caution de leur "esprit d’initiative", de leur "libéralisme éclairé". L’individualisme forcené et l’ésotérisme provocant des uns justifient les exigences d’autonomie, de dérégulation, de libre concurrence des autres, ceux-ci comme ceux-là ne s’estimant pas "comme tout le monde". Et de ce fait ayant pour règle de n’en respecter aucune, pour idéal de tout transgresser et pour passe-droit d’exploiter les ressources humaines jusqu’à l’épuisement des richesses naturelles.

On objectera que de nombreux plasticiens rêvent de ne pas être producteurs de gadgets de luxe à haute valeur spéculative et qu’ils sont allergiques au système qu’ils phagocytent. Hélas leurs dénonciations s’avèrent si puériles et naïves que le pouvoir a vite fait de les neutraliser voire récupérer pour médiatiser ces anticorps comme de pompeuses références académiques tout en les confinant dans des coffres nickelés de collectionneurs ou des cubes blancs et aseptisés de musées. Les quelques pour mille de la population qui s’aventurent dans ces augustes catacombes sont, de près ou de loin, apparentés aux possédants et jouissent de plus de vacances que d’allocations de chômage. Ils peuvent donc comprendre que ce qu’on y donne à voir est marginal, anormal, déconnecté de la réalité quotidienne : de l’éther gonflant la haute sphère de l’art le plus conceptualisé…

Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les sociétés dites primitives (et d’une certaine manière jusqu’à l’époque des cathédrales), la notion d’œuvre d’art et le statut d’artiste n’existaient pas. Le vocable Art lui-même n’y avait pas cours et peut-être y aurait-on traduit la notion de "l’art pour l’art" par "le rien pour le rien". Dans ces époques reculées où le "mieux-vivre" ne se mesurait pas à l’aune de la croissance du PIB, fabriquer de l’inutile n’avait pas de sens : on engendrait du magique, du sacré, du religieux… au sens premier de ce terme : de reliance… à ses semblables, à la terre, à l’univers, à ce qui transcende et outrepasse. La beauté, l’harmonie, la poésie reflétant cet au-delà, s’incarnant de manière fonctionnelle, pragmatique dans les gestes courants et les objets usuels de la vie quotidienne. Rien n’y distinguait les producteurs des acheteurs, les acteurs des spectateurs, les génies créateurs de leurs client passifs ou poussifs. Tout le monde et chacun participaient, selon ses capacités et ses penchants, à des rituels collectifs, conviviaux, festifs.

Cette vision idyllique de pseudo-paradis perdus est, il faut bien le reconnaitre, trompeuse mais elle a néanmoins trouvé écho dans la formule du célébré Joseph Beuys aux yeux de qui « tout le monde est artiste ». Plaisante manière de se mordre la queue puisque menant à la conclusion que, déjà dans les années ’70, le mot artiste ne signifiait plus grand-chose, ce qui caractérise tout le monde indistinctement étant vidé de tout signifiant.

Oserait-on en inférer que l’Art Contemporain n’aidera l’humanité à survivre qu’en se supprimant et que l’artiste bourgeois n’a d’autre devoir révolutionnaire, suivant le conseil du Che, que de se suicider ? Feu Romain Gary n’aurait pas dit non, lui qui voyait dans les musées les institutions les plus propres à assurer la relève de ces fumeries d'opium qu’ont été les églises 1 . Et il faut reconnaitre que la nature hallucinogène de l’art, sa capacité à décoller ses passionnés des trop triviales contraintes politiques justifient autrement sa condamnation. Et celle des artistes, drogués prétendant ne pouvoir s’empêcher de créer, se trouvant trop inspirés que pour faire autre chose. Alors qu’ils ne font qu’avouer crûment leur appartenance à une caste aussi cultivée qu’oisive dont les membres ne sont pas condamnés à travailler pour simplement manger. Et les voilà tous fiers de buller leur égoïste, égotiste vocation, flippant sous leur mythique auréole de divin créateur tout en se prostituant pour le bon plaisir de quelques cheiks ou cambistes… Prêter dans cette perspective à ces masturbateurs souffrant d’assuétude un pouvoir révolutionnaire est un pieux mensonge ou plutôt un leurre soigneusement entretenu par les puissants qui ont compris que, pour neutraliser des millions de contestataires 2 plus attirés par la folle anarchie que par la peureuse soumission, rien n’est plus efficace que d’en faire des artistes subventionnés avec promesse, pour leur pension, d’une rétrospective dans la maison de la culture ou de repos qui les hébergera.

Faudrait-il en conséquence et dans l’utopique espoir de sortir de la crise, derrière les dynamiteurs des Bouddhas de Bamyan et les piocheurs des médersas de Tombouctou, se résigner à annihiler ces beaux-arts que l’on monte en épingle comme la fine fleur de la civilisation postmoderne? Faudrait-il interdire la production et la multiplication de ces artéfacts qui n’ont d’autre finalité que d’être marchandisées, thésaurisées, rentabilisées aux bénéfices d’une minorité ? Faudrait-il déprécier le statut d’artiste en rappelant que, dans une société saine et équilibrée, il n’y a pas plus de place pour les nobles génies que pour les fous du roi, pas plus de races à part que d’êtres distingués par la naissance ou le destin ?

Peut-on croire qu’ainsi chaque individu se réappropriera le droit d’être le libre créateur de sa vie ? Qu’il décidera d’assumer, en solitaire et solidairement, le futur de la terre et de tous ses occupants ? Qu’il s’engagera à jouir en partageant avec ses semblables plaisirs et émotions au travers de "choses" moins monétisées, plus gratuites que des "œuvres" d’un art contemporain d’antan.

Au travers de pôles d’attraction rayonnant en harmonie avec les spécificités d’un lieu et les aléas de son histoire pour le révéler poétique mi-lieu du monde. Rappelant que chaque individu, comme chaque environnement, a une unique et irremplaçable manière d’être, de communiquer et de vivre et que tous ont, en résonance, leur pierre à apporter au phalanstère de l’humanité. 3

Au travers d’amplificateurs de reliance stimulant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, gratuitement, gracieusement les rencontres et échanges aux carrefours des villes et de la vie. Prenant racine dans le vécu de chaque résident ou nomade pour que fructifie, de génération en génération, l’imaginaire collectif. S’incorporant au cœur d’une communauté comme arbre de vie 4 sous la couronne duquel se donner, se perdre et se retrouver… fleur de terre et cendres d’étoiles.

Au travers d’agitateurs d’habitudes, préjugés, compromis qui, comme l’émoi amoureux ou l’extase mystique 5, questionneront le sens de la vie et la finalité de l’humanité, éveilleront la conscience d’être citoyens éphémères d’une même terre, exalteront le caractère universel de joies et d’angoisses éprouvées lors de fêtes rituelles mariant jeux de formes et de sons, bacchanales de couleurs et de saveurs, chorégraphie de mots et de gestes en correspondance avec les circonvolutions des astres, les cycles des saisons, les âges de la vie.

Quel prêchi-prêcha utopique ! Bien digne de ces artistes maudits affectés par l’un des poncifs les mieux savonnés de la culture occidentale : méconnus et incompris parce que, comme les pythies délirantes, esquissant au travers de leurs essais le futur dessein de la société qui les marginalisent. Nombrillisant leur mal-être pour révéler les contradictions de leur civilisation, ses incohérences, ses culs de sac dans l’espoir de l’ouvrir à de plus vastes horizons.

La chose est à ce point conventionnalisée qu’on se doit d’être désormais « d’avant-garde ». Pour être les premiers dans le mur 6 ? Pourquoi pas quand on constate la pullulation du nombre d’inadaptés se consolant en s’affichant artiste, la surproduction exponentielle de peintures, sculptures, photographies produites en séries numérotées et signées, l’inflation audiomatique des messages, commentaires, critiques rendant inaudible jusqu’au silence du sage...

 

 … qui plane, loin, très loin au-dessus du mur .7


 

Cet article a été écrit en réponse à une demande de Louis Boël, auteur avec Jérôme de Sousa-Pintos et Jean Solis de l’ouvrage « Sortir de la Crise par le Haut » publié par les éditions de la Hutte en septembre 2012.

 

D'autres considérations encore sur la crise?

 

1 : «L’église est menacée, alors, tout doucement, on prépare le musée pour assurer la relève de ces fumeries d’opium.» - Romain Gary - Lady L - 1959.
2 : Un petit pour cent de la population de l’Union Européenne, plus de 5 millions de peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, infographistes, tagueurs, bédéistes… pourraient revendiquer le statut subventionné d’artistes plasticiens.
3 : Aux antipodes des modes de standardisation, banalisation, uniformisation des moutons consommateurs en boulons interchangeables de la machinerie de l’obsolescence.
4 : Et qui déraciné, vaudra moins que bois morts entassés dans un hall de foire pour une exposition de land-art.
5 : De la raison pour laquelle le ravissement esthétique est mis sous cadre et sous verre au musée tout comme l’extase amoureuse est réduite au niveau de postures gymnastiques et l’extase mystique cuisinée en recettes de piété.
6 : Pour y bomber un graffiti reflétant la civilisation postindustrielle qui fonce dans le dit mur en poussant sur le champignon ?
7 : Alors qu’il y a urgence, que d’aucuns sont convaincus que, dans moins de 13 ans, les jeux seront faits et qu’il n’y aura plus, peu après, que des cancrelats pour souhaiter "Adieu" à l’homo sapiens artisticus.