PETITE HISTOIRE POUR LES QUIDAMS QUI ADORENT SE CRAVATER

De Paul Gonze
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                                                                                                                                                            Peut-être la cravate est-elle le modèle pour adulte du bavoir ?

                                                                                                                                                                                                                                  Christiane Rochefort

 

Flatté, non, honoré qu’il est, l'anartiste papowète d’être invité au club des Neuf Cents Nonante Neuf Vénérables par son vieil ami l’aristochat qui se la joue mécène béni des artistes maudits, et qui se rengorge déjà à l’idée de se dindonner cravaté comme Papa lui avait appris à si bien le faire pour sa première communion ! Car, en ce cercle fermé, le port de la cravate est toujours de règle !

Néanmoins, plus d’une question le turlupine en cette époque où les vents - ou les pets - capricieux de la mode décatissent les plus augustes traditions: sa cravate, devrait-il la glisser dans sa ceinture par dessus le fond de son pantalon pour une espèce de grand jeu scout visant à s'attraper la queue entre la poire et le fromage ? Ou la boucler sur le front à la manière des iroquois en priant le grand Manitou d’en redresser orgueilleusement les extrémités comme paire de plumes d’aigle impérial ? Ou la tirebouchonner en toute simplicité de pendu autour du cou, façon col romain, dans une couleur assortie à son bleu de sans-culotte sans-travail?

Un peu inquiet aussi car un de ses copains se vante d’avoir, dans sa jeunesse, fréquenté un pub d’Oxford, sans doute aussi sélect que le Club des 999, dont les murs étaient tapissés de milliers de bouts de cravates, métaphores de ces étuis péniens arborés par les aborigènes de Papouasie, et que le barman, avec des ciseaux dorés de castrateur, s’empressait de couper au nez ou à la barbe des étrangers inadéquatement parrainés… honte que lui avait épargné son nœud papillon de dandy.

Mais audacieusement, que dis-je témérairement qu'il se la gonfle pour braver de tels périls car trop-heureux de se voir prié (bien qu’athée plutôt que café au lait) dans de si hautes sphères et acceptant subséquemment l’invitation! Estimant pouvoir toujours faire comme son maître à penser, le dadaïste surréalisant Marcel Marien qui, refoulé à la porte d’un diner auquel il avait été convié parce qu’il ne portait point de veston, revint un quart d’heure plus tard dans un complet gris passe-muraille de la plus belle coupe… pour, la soupe servie, en verser des pleines cuillerées dans ses multiples poches et répondre à la maitresse de maison s’étonnant de cet indigeste rituel gastronomique : « Mais Mâdâme, n’est ce pas mon habit que vous avez invité ! La plus élémentaire politesse ne prescrit-elle donc pas que ce soit lui qui se délecte de vos faveurs ? »

Il n'est dès lors pas exclu que notre drôle se sente autorisé à de même humecter délicatement sa chose rouge en chantant: «Marie, trempe ton pain dans ta soupe... Marie, trempe ton pain dans ton vin… ».


PS: Mais espère-t-il encore être convié par pareilles connaissances*, cet insolent**? Lui qui a commémoré le bicentenaire de la Révolution française lors d'une mascarade organisée par la fraternelle des "Petits de et Autres Fonds de Châteaux" en demandant à l’aboyeur de l’annoncer "Ci-devant Sans Culotte (ni caleçon)": portant beau un sarrau d'épais coton bleu et brandissant, palsambleu***!, un couteau Louis XVI à la pointe embrochée sur une bonne grosse poire Doyenné **** ?

 

* connaissance:mot à l'étymologie troublante puisqu'il suggère autant le partage d'un certain savoir que le privilège d'être né, bien né dans le même type de berceau.

**  insolent: qui est ou si'imagine dans le soleil, ayant l'outrecuidance de se croire source de lumière, à l'instar du Roi-Soleil.

***  "palsambleu": périphrase signifiant "par le sang de Dieu" dont les nobles abusaient durant le Moyen-âge pour jurer et maudire sans s'attirer les foudres du Ciel. Car, comme dans "parbleu", "crébleu", "morbleu", ils y remplaçaient pieusement ou peureusement le nom de dieu par bleu... eux dont le sang ne pouvait qu'être d'essence divine, et non rouge comme le vin des révolutionnaires!

**** poire Doyenné: Louis XVI n'avait-il pas été surnommé, de son vivant, le roi à la tête de (bonne) poire ?

 

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