Lettre du Professeur Perin

De Paul Gonze
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L'installation d’œuvres d'art dans le domaine du Sart-Tilman continue de provoquer un débat passionné au sein de la communauté universitaire. A la suite de l'article de Monique Hissel «Sculptures monumentales au Sart-Tilman », nous avons reçu cette réponse du professeur François Perin en forme de lettre ouverte adressée à l'auteur de l'article. Qu'on ne s'en étonne pas, ce que François Perin dénonce, c'est aussi, selon lui, de ne pas pouvoir identifier ceux qui lui ont fait « ces extravagants cadeaux »!

 

Madame,

Puisque vous voilà exégète (1) des œuvres qui vous entourent, veuillez trouver naturel qu'on s'en prenne à ces sculptures et plus encore à ceux qui les ont choisies.

Nous qui sommes "ceux qui passent en ces lieux" , nous voudrions en savoir plus. Nous détestons l'anonymat et nous ne parvenons pas à identifier ces responsables avec lesquels nous avons pourtant fort envie d'en découdre.

Peut être pouvez vous nous éclairer et mieux encore, emmener tout ce beau monde, un jour convenu, avec vous-même, dans le plus grand auditoire, celui appelé De Mean, pour que nous voyions en chair et en os et que nous entendions de nos oreilles ceux qui nous ont fait, sans crier gare et sans nous informer, ces extravagants cadeaux?

Car enfin, n'est il pas temps que vous enregistriez les réactions des destinataires ? Je vous soupçonne pourtant de n'en avoir cure; il filtre de votre écrit, je ne sais quel mépris, quelle hostilité hautaine à l'égard de nous tous, qu'il vaut la peine de décrypter. Votre style exige une analyse sinon une psychanalyse.

Commençons par « le pied .. ». Félix ROULIN hésite à en arrêter le sens, dites vous; en êtes vous sûre ? Vous citez ses propos. Leur forme interrogative n'est qu'une feinte pour éviter d'être franc. Ainsi donc, la statue écroulée dont Il ne reste qu’un pied cassé (c'est d'une certaine manière, un progrès depuis la Vénus de Milo), serait-elle le droit? Quant aux corps écrasés, ils feraient d'une pierre deux coups, si j'ose dire; d'abord piétinés par le Droit, ils sont aussi la force qui va faire tomber l'idole. Le Droit est nécessairement pour vous une force expressive qui va s'écrouler sous la « démystification », la « stridence révoltée», «l'innommable individuel» «dissonance dans l'ordre », « dans la hiérarchie du travail », « dans l'Université » (tout cela, c'est de vous).

Ainsi donc, ce «pied» que nous croisons au moins deux fois par jour est là pour nous lancer des «questions lancinantes » (c'est de vous aussi).

N'auriez vous pas par hasard une vocation d'accusateur public, que vous vous instituez sans mandat de personne bien entendu, à la manière de ces révolutionnaires fous qui prétendent incarner un peuple qui les ignore ou les honnit?

Vous préférez évidemment le masque de l'esthétisme ésotérique. Cela vous permet de jeter avec mépris cette petite phrase venimeuse: «et l'on sait qui passe en ces lieux!» à notre face à tous.

On aimerait arracher votre masque et vous presser de nous dire franchement: A qui en voulez vous et pourquoi?

Qui sommes nous pour vous? On est réduit à faire des hypothèses plausibles que vous pouvez toujours récuser grâce à l'obscurité de vos propos: ne serions nous pas à vos yeux d'affreux petits bourgeois, béotiens, bornés, adorateurs guindés, conformistes et suffisants de l'idole du « DROIT»?

Si ce n'est pas cela, alors que signifie tout votre ramage sur «ceux qui passent en ces lieux»?

Si ce coup de pied était destiné à nous faire la leçon, il eût mieux valu y apposer un écriteau explicatif. Sinon, le mystère garde son épaisseur. Les passants n'y voient goutte. Ce pied absurde, « frayage du temps passé surgi en hiatus », est totalement inefficace. « Les petits bourgeois » passent devant, haussent les épaules et puis, ne le voient même plus. Ils ne se sentent en tout cas pas questionnés.

Quant à la tour dont la beauté n'est pas évidente, j'apprends grâce à vous, qu'elle vous donne l'occasion de persifler « le rythme artificiel et rigoureux du calendrier du travail et de son minutage»

Dieu que nous sommes bêtes ! Nous n’y avions pas pensé non plus. Hélas, pauvres juristes ou économistes, professionnels ou en herbe, il nous faut bien un horaire pour travailler. Quelle horreur, quelle servitude avilissante n'est ce pas, en regard du « lieu onirique de l’Aléa que suggère le kaléidoscope » ?

Notre pauvre onirisme à nous nous portait à voir une similitude un peu grotesque entre la Tour de M. Jean-Paul Laenen et la fusée du professeur Tournesol dans « On a marché sur la lune! » or, cette tour est « un lieu matriciel, isolant d'un environnement: l'école». Mais bien sûr l Quel manque de culture de notre part de ne pas l'avoir saisi d'emblée !

Il est vrai que nous avions bien vu que la feuille de cuivre imitait un avion de papier d'écolier. Mais nous ne sommes pas parvenus à nous tordre le cou pour lire le texte puisqu'il est à l'envers.

Comme vous êtes dans le secret des Dieux, vous nous l'apprenez : « Colombe, rêve venu de bientôt ». parodie des avions de papier est une « version enfantine des droits de l'homme », c'est un « rire à l'égard de la loi qu'amplifie ce monument dressé sous les fenêtres de la faculté de Droit».

Merci beaucoup, je sais maintenant pour ceux qui enseignent dans cet auditoire que ce cuivre est là pour se payer leur tête et spécialement la mienne puisque j'explique en ces lieux, comme je peux, la genèse des libertés publiques!

Nous n'avons qu'à bien nous tenir car ce « texte lyre délire… et installe la Sorcière au-dessous de la loi » ! Bigre, il faudra que je demande à Gottfried Partsch de trouver dans un grimoire du Moyen Age de quoi exorciser les maléfices de cette «macralle» dissimulée dans l’œuvre troublante du groupe Tout qui signifie aussi, à vous lire, «la frustration à l'égard de l'érudition», potion affreuse que vous nous soupçonnez sans doute de faire ingurgiter de force par nos pauvres étudiants.

Et vous nous annoncez en finale, trois autres livraisons, sans doute aussi significative ! N'en jetez plus, s'il, vous plaît!

Nous avons déjà les escaliers penchés en demi cercles entourés de colonnes brisées, annonce apocalyptique de l'effondrement du Droit qui ne doit pas manquer « de nous tomber sur la tête » comme le plâtras des films bouffons, le taureau en bois barbouillé sur la pelouse bombée, le mâchefer sur socle à proximité des presses universitaires, et, dans la cour intérieure, l'extraordinaire savane d'orties qui a envahi les treillis en forme de tube à l'intérieur desquels on s'attendrait voir cheminer tigres et lions vers la piste d'un cirque.

Les visiteurs, compatriotes et étrangers, qui viennent parfois jusqu'au Sart-Tilman, pour des cours ou des colloques en côtoyant toutes ces merveilles, se tapotent légèrement les tempes et murmurent sans doute la formule empruntée à Astérix: «Ils sont fous, ces Liégeois ».
L'ennui, voyez vous, c'est qu'ils croient bien fatalement que les fous, c'est nous.
C'est pourquoi, nous avons un compte à régler. Nous invitons les responsables à relever le défi et à venir franchement, en votre compagnie, s'expliquer devant «ceux qui passent en ces lieux».

L’auditoire de 1re candidature est vaste et je puis vous garantir du monde.

En attendant le plaisir de faire votre connaissance et de vous rencontrer, je vous prie de croire, Madame, en ma parfaite considération.

 

                                                                                                    François Perin,                                   

                                                                 Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Liège.

(1) Journal Liège Université Octobre 1982 N* 24 Page 7.

 

PS. Il serait très intéressant de connaître le coût de ces sculptures. Nous espérons que les autorités, responsables de l'Université qui liront cette lettre ouverte, voudront bien nous éclairer sur ce point.

 

                                                                       Et voici la réponse à Monsieur le Professeur