Le billet doux du lendemain de la Fête du Travail

De Paul Gonze
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Il est étonnant que la tentation de se croiser les bras et de se taire ne soit pas plus populaire.

Marcel Mariën

Rêve Turbulent verso P.jpg
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Hier, quelques uns de mes concitoyens° ont fièrement battu le pavé, levé les bras au ciel, agité la langue contre le palais, … dieu que c'était exaltant… diable que c’était éreintant ! 

Normal qu’aujourd’hui ces hérauts estiment devoir se reposer, sommeiller, rêvasser peut-être à quelque utopique journée, semaine, saison, année qui honorera enfin le rien-faire… lors de réjouissances où seront encensés les plus valeureux paresseux, héros qui, bravant les conventions, habitudes, automatismes  se seront, dans la foulée d’Alexandre le Bienheureux, libérés du joug du travail … jouissant simplement de la vie qui passe pour ne pas repasser et d'une nature qui ne demande pas à être trop repassée.

L’un d’entre eux m’a gentiment rappelé que le travail est la damnation à laquelle un dieu irascible et jaloux aurait condamné nos ancêtres Ève et Adam, expulsés du verger fleuri où ils se plaisaient à innocemment batifoler ; et que dorénavant, pour toute femme, donner la lumière à un enfant serait aussi un travail, des plus douloureux.

Il m’a parallèlement appris que le mot travail a pour origine le latin "tripalium", instrument de torture à trois pieux dont les romains abusaient pour immobiliser leurs esclaves rebelles ou fainéants ; instrument qui, symptomatiquement, servait aussi à ferrer les chevaux rétifs.

Ce cynique enfin m’a demandé si je me savais conditionné à faire du travail mon principal passe-temps, ma raison de vivre, le but ultime de mon existence. Et que donc…

 

Mais vrai : pourquoi me faudrait-il travailler ? Pour gagner ma vie ? Á la perdre ?

Afin d'apporter, le lendemain de mon jour de paye, mon obole au veau d’or et d’argent, dans les cathédrales du mercantilisme, pour le plus grand profit des marchands du temple œuvrant au bénéfice des multinationales puis en adorant, le reste du mois, les saintes idoles du star système qui m’exhiberont tout ce dont je me dois d’être en manque.

Afin de gaspiller compulsivement des banalités sous-produites en série, terreau des pseudo-merveilles numérotées confirmant que les happy few susceptibles de les monopoliser sont des êtres d’exception : timbales de caviar versus Cheese Burger, Rolls Royce versus Volkswagen, Tournesols fendillés de Van Gogh versus leurs reproductions encadrées Ikéa ...

Afin de payer des impôts obligeant d’autres dociles esclaves à multiplier les travaux inutiles bétonnant nos derniers espaces verts°° ; autorisant d’autres plus indiscrets esclaves à contrôler la rentabilité polluante de ma productivité ; incitant d’autres plus arrogants esclaves à jouer aux petits chefs me recommandant ce qui ne peut qu’être indispensable pour mon bien-être… et en cotisant pour que tous ces esclaves, demain séniles, jouissent de pensions en instance de dévaluation.

En carbonant, plastifiant, 3-, 4-, 5 G-isant la planète bleue… tout en multipliant les conférences internationales et les réglementations locales propres à réchauffer bien plus que mon cœur ! °°° Alors qu'en mai 68, le philosophe Gébé, dans un des plus importants ouvrages socio-économiques du XXème siècle, « l’an 01 », écrivait déjà : « On arrête tout, on ne fait rien, et c’est bien ! »

Et donc, je vous demande ce qui m’empêcherait de cesser de turbuler, d'être adepte de l'inévitable décroissance, de savourer en votre compagnie la sobriété heureuse ! D'autant qu'il est urgent d'en faire le moins possible : plutôt que de m'entêter à déféquer de l’inutile encombrant, cher et vilain, me laisser aller à distiller de l’inutile éphémère, aussi beau que gratuit.

Contempler, dans la fraicheur de l’aube, un bourgeon de coquelicot déchirant imperceptiblement ses sépales, déplissant délicatement ses pétales, en déployant voluptueusement le rougeoiement sous les caresses du soleil et frémissant de sentir une abeille°°°° qui déjà s’approche pour se pâmer entre ses étamines et son pistil.

Raconter à un.e petit. Prince.sse comment réunir une douzaine de papillons dans une verrière afin qu'ils y fassent comme Maman et Papa quand ils ne travaillent pas °°°°°, récolter subséquemment leurs œufs qui, chenilles, se gaveront goulûment de feuilles de choux avant de se reposer en leur cocon; quand ils seront quelques milliers, les exposer aux ardeurs du soleil pour qu'ils s'envolent papillons; une nuit, les attirer dans trois grosses caisses, trois bombes propres à exploser, le lendemain matin dans une banque, à midi dans une rame de métro, le soir dans un super-marché. Et  tout cela pour qu'une inconnue s'immobilise dans la contemplation d'un autre éphémère:

  

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Transcrire cette histoire en caractères noirs sur fond blanc que l’un.e ou l’autre ami.e, négligeant de travailler, lira peut-être… dans la perspective du plus inutile et gratuit des plaisirs. Un peu comme ICI.

 

Il est minuit passé, docteur Schweitzer : Temps d’aller dormir !

Unalala Bwana

 

° Auriez-vous, vous aussi, été sublime ?

°°Faut-il, en cette période de financement des campagnes électorales, s'étonner de la prolifération des chantiers aussi indispensables à notre plaisir de vivre que le piétonnier et le nouveau centre administratif bruxellois? Une initiative privée, collatéralement soutenue par les travaux publics, pourrait vous surprendre, révélatrice de l'appétit, de  la gloutonneriee, de la voracité lucrative de quelques spéculateurs logeant autrement que le plus grand nombre. Je vous invite à en apprécier la pertinence en cliquant sur ce lien.

°°° En envoyant aujourd'hui en Afrique comme bagnole d’occasion ou déchet encombrant les voitures au diesel puis demain celles à essence afin de soutenir une industrie automobile en crise, grosse demanderesse d’esclaves et donc pourvoyeuse de fonds de pension, et relancer la production d'hybrides faisant bouillir les centrales nucléaires et les capteurs solaires nimbés de métaux exotiques  ... Idem pour les lampes basse-consommation au mercure… Idem pour les smart-phones de dernière génération à obsolescence programmée … Idem pour... Oh no, please, keep cool!

°°°° Confidence : mon totem chez les scouts était « abeille laborieuse ». Alors que j’ai cumulé les fonctions de tête rêveuse et cheville paresseuse de l’asbl TOUT.

°°°°° Á moins qu'il ne faille aussi regarder la chose comme un travail.

°°°°°° L'illustration au haut de cette page est le recto de la carte postale géante du Rêve_de_Turbulence

 

Mais encore: Ce billet doux et ses liens sont copy-left et donc rien n'interdit leurs re-présentations et diffusions complètes ou partielles faites par quelque procédé que ce soit pour les destiner à une jouissance non mercantile. Libre à vous donc de semer à tout vent...
 
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ASSEZ !