De l'Art pour Vivre!

De Paul Gonze
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Manifeste de l'asbl TOUT... les rêves se vivent (-ils?), publié dans le Cahier N°1 ENVIRONNE-MENTAL de l'ISELP, - Institut Supérieur pour l'Etude du Langage Plastique, paru  en 1981, actualisé en 2008

En laboratoire, des sujets abusivement privés de leur capacité de rêver, deviennent fous ; En ville...

Pour vivre, jouir, s’épanouir, des hommes créent. Au travers de leurs témoignages, d'autres hommes se découvrent, questionnent la finalité de leur existence, partagent des joies et des angoisses dont ils pressentent l'universalité: les ignorant, ils ne fonctionnent plus qu'au seuil de leurs programmations instinctives. Au risque de dérailler dans l’absurde.
Aujourd'hui, c’est la civilisation post-industrielle qui déraille, crispée par le dilemme, auquel son matérialisme mercantile la confronte, de s'éteindre en enfumant la planète bleue ou de se métamorphoser.
Pour la métamorphose, c’est moins de slogans publicitaires, de sédatifs policiers, de combines boursières que l’humanité a besoin que de multiples et contradictoires visions artistiques, prémonitoires ouvertures sur un ailleurs où germera son futur art de vivre.

Déjà la machine assume, à la place de l’homme, la malédiction du travail répétitif, stéréotypé, aliénant.
Bientôt, elle lui offrira le loisir de s’exprimer, se remettre en question, communiquer… être artiste !
… ou consommateur passif de son cadre de vie, plus soucieux de l'épaisseur de son confort que du tranchant de ses interrogations. Satisfaits de se conformer au profil statistique général en acculant les plus originaux au vandalisme ou à la déprime. Gavés d'ordre, de sécurité, de pensions et de produits blancs le prémunissant des risques, déséquilibres et échecs inhérents à toute évolution.
Tro-p "eureux" que les mécaniciens télégéniques de l’ordre mondial, les régulateurs médiatiques de la haute finance, les machinistes étoilés des grands spectacles lui garantissent un présent toujours plus planifié dans un monde toujours plus arrondi en compagnie de confrères toujours plus nivelés.

Or qui sinon chacun d’entre nous a l’utopique responsabilité de brouiller la rosâtre chansonnette qui couvre la plainte de millions d’affamés, de perturber le soporifique standing de vie payé par la désertification des tropiques, de contester ces pseudo-libertés qui nous incitent à acheter ce qui écrasent d’autres de misère ?
Qui sinon chacun d’entre nous qui avons la chance scandaleuse de lire, nous informer et imaginer une manière moins folle pour les jupes et pour le monde de tourner ?

Mais déjà comment nous distinguer du new-yorkais ou de l'osakien ? Mêmes agressions publicitaires masquant de mêmes clapiers bétonnés et, dans les mêmes cages, même conditionneur audio-visuel, même lithographie numérotée, même 22ème position.
Rouages standardisés, presqu'interchangeables à force d’acculturation du grand malaxeur de vaseline consensuelle et de revenus étagés qui nous repasse en quadriphonie sous la ritournelle de la divine libéralisation, nous n'avons plus grand chose à échanger…

Quasi rien si ce n’est, virus de l'informatique, le subtil amalgame de nos souvenirs et émotions, le jeu mouvant de nos pulsions et de nos attentes, les paradoxes de nos rêves interpénétrant le jour et la nuit, le soleil et la lune, l'homme et la femme…
Presque rien si ce n'est, défaut du consumérisme, notre unique résonance et gratuite jouissance de certains lieux, au rythme de leurs saisons, aux traditions qui en irisent la lumière, aux alliances de pierre et de rêve qui en ont été et qui, demain encore, pourront en être les révélateurs.
Moins que rien si ce n’est, anomalie de la normalisation, l’ivresse d'être en manque, en inquiétude, en attente… brûlé d'altérité, assoiffé d'utopie, fou d’inespéré.

Autant de petits riens affinant les individualités, aiguisant le sens de l’autonomie, exacerbant le sentiment que nous sommes aussi solitaires que solidaires.
Autant de fissures pour s’ouvrir à l’étranger, à l’inconnu, à l'autre… Avec, comme coins écartelant les failles du bloc des conventions-préjugés-interdits, des éclats d’utopie, des pierres de lune, des semences d’ailleurs …

Ce que d’aucuns appellent des œuvres d’art mais qui n’ont pas grand chose de commun avec ces ostentatoires ivoires d'atelier avortés dans les catacombes des musées, ces coûteuses valises de collectionneur, ces objets mort-nés qui peaufinent la société du spectacle, avalisent le statut d’une pseudo-élite plus éblouissante qu'éclairée, cautionnent la spéculation et la monopolisation du patrimoine universel.

Pas d’œuvres d’art mais des mises en porte-à-faux pour nous déprendre de nos habitudes, nous ouvrir à l’étranger, nous perméabiliser à l’enivrant inconnu.
Des imprévus qui nous ravissent, discrètement ou avec passion, en un éclair ou imperceptiblement de jour en jour, de manière sauvage ou en musique
Des briseurs de trop beaux miroirs qui nous réveillent de l’autre côté de nos illusions.

Des générateurs de doute, amplificateurs d’incertitudes, catalyseurs d’insomnie.

Des sources de vie!

Certaines s'enracinent lentement, profondément dans le dédale d'un quartier et se nourrissent des sourires des passants… Déracinées, placées hors de leur contexte, elles n’ont plus aucune valeur de spéculation ! Ne sont plus que choses mortes.
D'autres bourgeonnent la foule ou épanouissent le silence au gré des rencontres, des humeurs, des lunes pour ressurgir plus loin, plus tard dans l'écho d'une parole, l’imprévu d’un parfum, le profil d'une ombre… mais qui, affichées comme mises en cage, ne sont plus que slogans publicitaires.
Quelques unes sont tout juste des invitations à s'accorder (musicalement) aux spécificités d’un lieu (couleurs, coutumes, histoires des murs et des habitants), à les amplifier, les harmoniser et les jouer en symphonie avec d’autres.

Des œuvres collectives donc conviviales, au travers desquels tous ceux qui affectent notre cadre de travail et nos lieux de loisirs - ingénieurs et poètes, architectes et plasticiens, sociologues et chorégraphes - mais surtout les habitants qui les font vibrer peuvent marier les exigences fonctionnelles (éclairage, communication, protection...) aux charges émotionnelles (légendes, histoires, contumes…) d'un espace pour en faire un tout.
Un tout qui gagnera, consécration ultime, la transparence de l’évidence. Et dont la profonde justification ne sera pas la rentabilité à long-terme d’un investissement socioculturel mais l’indicible, l’incontrôlable plaisir d’une fête.

Un symbole parmi d'autres symboles qui, se multipliant pour s'enrichir mutuellement dans un jeu de correspondances où se fusionne une communauté, dynamisera la sensibilité de tous, dès l'enfance, aux innombrables langages de l'homme. A sa responsabilité dans le développement des civilisations et des personnalités : par la préservation des beautés naturelles et des références culturelles, toile de fond indispensable à la conception d’œuvres originales, signifiantes; par la valorisation des interrelations de la recherche scientifique et de la production industrielle avec la réflexion artistique; par l'altération des normes de "confort - sécurité - esthétique" dans le respect des spécificités de chaque région afin d'en restituer le contrôle aux occupants.

Une brique à cimenter sous d'autres briques, dense des contradictions et des aspirations de notre monde, émaillée de ses angoisses et de ses utopies, simple mais indispensable matériau de construction requis pour bâtir, dans la participation libre et créative de tous, un monde pour demain, le monde où vivre.

 

Pour TOUT
Sa B(ar)onne des Rêves

Titine van Droom